Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

C’est une époque pour laquelle, si on commence à avoir quelques instantanés, le matériel et la technique ne permettent pas pour autant de prendre des photos à de très grandes vitesses, ni surtout de s’approcher du sujet grâce à de puissants téléobjectifs, et si les premières optiques permettant déjà des photographies rapprochées apparaissent chez Karl Zeiss à partir de 1896, ces premiers “PLANAR” ont des focales modestes.

Au début du siècle la tauromachie était très différente de celle pratiquée quelques décennies plus tard et encore davantage de celle qui nous est donnée de voir de nos jours. On la photographiait avec les moyens techniques de l’époque qui ne permettaient pas d’en rendre compte avec autant de précision que ce qu’on peut  faire aujourd’hui. Etre au bon emplacement et déclencher était primordial pour réussir une bonne photo, bien plus qu’aujourd’hui, où on peut photographier avec un 300 qui ouvre à 2,8 et avec un boîtier capable de prendre 10 images secondes, bien sûr à condition de pouvoir s’équiper d’un tel matériel particulièrement onéreux.

Photo du tercio de vara prise au moment du cite, mais le cheval famélique avance, le toro manque de bravoure. L’intérêt de la photo réside dans le témoignage qu’elle apporte. On peut remarquer  le bon placement du photographe, vraisemblablement dans les premiers rangs des tendidos. La scène est rendue avec une netteté toute relative, la patte avant gauche du cheval et la queue du toro se déplaçant rapidement apparaissant très floues.

A une époque où ce qui était primordial pour parvenir à estoquer le toro était la lidia, ce qu’on observe en tout premier lieu dans les revues c’est le nombre de photos montrant les picadors et le premier tercio, le tercio de varas. Je vais m’appuyer sur les publications de 1910 et 1911 de la revue espagnole “SOL Y SOMBRA” et plus particulièrement sur les portadas car on peut considérer que le choix d’une photo pour une couverture, qui doit faire “appel”, correspond à ce qu’on estime comme étant le plus représentatif et le plus appréciable.

Sur 44 premières de couverture on compte des photos sur les sujets suivants:

– 1 photo de blessure

– 4 photos pour célébrer la fiesta

– 5 photos de “suerte de varas”

– 3 photos de passe de capote

– 18 portraits de toreros

– 7 photos d’ensemble

– 3 portrait de piqueros

– 1photo de poses de banderilles

– 1 sortie de toro mais en gravure

– 1 photo de muleta

Si on se limite aux trois tercios, le premier est le plus représenté, huit fois avec trois passes de capote et cinq “suerte de varas”) et on doit rappeler ici que ce tercio est essentiel à cette époque. La présence de trois portraits de picadors en couverture apporte la confirmation de l’importance de leur rôle et de leur notoriété. Aujourd’hui quelle revue taurine se hasarderait à mettre un portrait de picador à cette place?

 

 Portrait de Manuel del Pino, picador faisant la couverture de Sol y Sombra en 1910. Photo prise en studio.

Les trois photos de réception au capote correspondent aussi au premier tercio. Par contre on observe une seule passe de muleta. Certes les photos de scènes en mouvements sont alors les plus difficiles à fixer, mais cela est aussi vrai pour les passes de capote que pour les passes de muleta. Les capotazos qui avaient été choisis pour figurer en couverture devaient correspondre à ceux qui avaient été jugées comme étant les plus intéressants, et il faut reconnaître qu’aujourd’hui nous aurions effacé immédiatement de telles photos de nos cartes mémoires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Véronique de réception donnée par Bombita en 1910 à San Sebastian et le même Bombita toréant de muleta à Nîmes.Jugées suffisamment intéressantes pour être montrées, voire mises en couverture. Qui aujourd’hui les conserverait sur sa carte mémoire ?

 

 

Quite par Véroniques de Morante de la Puebla à un toro de Juan Pedro Domecq à Nîmes en 2010. Cent ans séparent ces deux photos qui résument bien tout ce qui a pu changer.

Cela apporte, si besoin est, la preuves des profondes transformations que la tauromachie a subies, les goûts des aficionados évoluant parallèlement. Autrefois l’efficacité d’une passe était sûrement ce qui était recherché avant tout. Aujourd’hui une passe de capote ou de muleta seulement “efficace”, donnée sans aucun esthétisme ne peut être appréciée que par un tout petit nombre d’initiés, l’esthétisme étant ce qui est attendu et apprécié par les foules, peut importe si cela masque une absence de sincérité ou de la tricherie. (Ex de l’importante lidia, sinon faena, de Ponce à Mt de Marsan en 2011 devant un toro de Samuel Flores appréciée à sa juste valeur par une infime partie du public)

Il y a une centaine d’année la lidia devait permettre au matador d’estoquer et dans les pages intérieures, le moment de vérité est abondamment représenté mais essentiellement lorsque le torero cite ou lorsque l’estocade a été portée car saisir l’instant le plus décisif, lorsque le matador porte l’estocade, était compliqué, tout va si vite! Certains photographes particulièrement habiles, ou, chanceux, ont pu réussir parfois de tels clichés mais ceux-ci sont rares ou bien ils manquent beaucoup de netteté.

Adolfo Guerra en 1903. Le photographe a privilégié un plan général, la photo étant prise alors que l’estocade a été portée (très en avant!). La scène est statique.

 

Fernando Robleño estoquant un toro d’Hernandez Pla à Céret en 2007. Malgré la rapidité la netteté à pu être conservée, en particulier au niveau su sang qui jaillit de façon surprenante. La photo peut restituer ce détail alors que la plupart des spectateurs ne l’avaient pas remarqué sur le moment. Autrefois ce type de cliché était impossible à réaliser.

Et la photo artistique? Il y avait encore peu de place pour elle et le recours à la peinture et à la gravure était encore fréquent d’autant que ces procédés permettaient des reconstitutions de scènes qui n’avaient pas pu être immortalisées par un photographe. C’est ce qui a failli se produire à Linares, lors de la blessure mortelle de Manolete. C’était pourtant bien plus tard, en 1947. Si le célèbre CANO n’avait pas été présent ce jour-là pour un reportage sur Luis Miguel Dominguin, il n’y aurait eu aucune photo de cet après-midi dramatique.

Brindis de Julien Miletto au photographe Cano, né en 1912 et toujours présent dans les callejones. Béziers 2007

Voir aussi : http://www.michelvolle.com