Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Le film aux dix “Goya”

 

La renommée mondiale du comte des frères Grimm, «Schneewittchen» (Blanche Neige) doit tout au septième art.

Depuis sa première apparition, au temps du muet, dans un court métrage de Siegmund Lubin, cette histoire a inspiré une bonne quinzaine d’adaptations cinématographiques. Mais la version de référence, celle dont le succès est resté inégalé, est bien le “Blanche neige et les sept nains” de 1937 qui consacra Walt Disney comme le grand maître du cinéma d’animation.

Je me permets une parenthèse pour déplorer qu’il n’ait pas continué à explorer et animer ces comtes de la vieille Europe, si moraux et si toniques, avec leurs ogres effrayants, leurs Barbe-Bleus d’épouvante, leurs perverses et méchantes marâtres, leurs loups dévoreurs puis régurgiteurs de petits Chaperons Rouges, leurs belles, tendres, pathétiques et faussement naïves, héroïnes, ces jeunes filles-enfants, à l’affut de mirobolants princes charmants, richissimes, parfaitement incolores et inodores.
S’il l’eût fait, il nous aurait épargné ce désolant bestiaire animalier anthropomorphique, dégoulinant de guimauve et de faux bons-sentiments, qui  conduit à l’abrutissement de générations d’enfants, enfants qui, à l’instar d’une Brigitte Bardot, peuvent ne s’en jamais complètement relever. Il serait très urgent d’interdire les films d’animation sortis des studios Disney qui risquent d’affecter durablement le comportement mental des enfants en brouillant leur jugement à l’égard des animaux, tandis qu’il est très salutaire de leur faire voir des corridas qui constituent d’authentiques écoles de la vie.

En 2012, deux versions de Blanche Neige ont encore vu le jour aux Etats Unis :

Blanche Neige Date de sortie 11 avril 2012 (1h 45min)  – Réalisé par Tarsem Singh – Avec  Julia Roberts, Lily Collins, Armie Hammer …

Blanche Neige et le chasseur Date de sortie 13 juin 2012 (2h 6min)  – Réalisé par Rupert Sanders – Avec Kristen Stewart, Chris Hemsworth, Charlize Theron.

Ces deux films qui, s’inspirant d’assez loin du synopsis des Grimm, transposent du fantastique et de l’action dans un monde virtuel pas très original, ne devraient pas marquer la postérité.

“Blanca Nieves”, film espagnol muet, en noir et blanc, est sorti fin 2012 en Espagne, début 2013 en France, alors que, son auteur, Pablo Berger, y travaillait depuis huit ans. L’action se situe dans les années 20 du siècle dernier et se déroule dans une Espagne andalouse taurine et baroque sous la forme d’un mélodrame qui oscille, non sans un humour plus ou moins grinçant, entre un réalisme épicé et des accents comparables à ceux d’un cante jondo.

Au plan technique c’est très fort. Les images parlent mieux que des voix d’acteurs. Elles irradient une force expressive tout à fait éloquente. La photographie est sublime, les contrastes et les harmoniques des blancs et noirs parfaitement distribués et exploités.

Pablo Berger ne singe pas les débuts du cinéma. Sa caméra ne se fige pas dans des séries de plans-séquence mais, au contraire, emprunte avec mesure et maîtrise toutes les ressources aujourd’hui disponibles, succession rythmées des plans, champ, contre-champ, variations de focales, mouvements et travellings divers… Il s’agit bien d’un film actuel, en noir et blanc et muet.

Le jeu des acteurs est parfaitement adapté, il comporte bien sûr un peu de ce qu’impose le muet, gros plans sur des froncements de sourcils, regards appuyés, rictus déformés par la douleur, la colère, la méchanceté, la jubilation sadique, c’est là que Maribel Verdú, qui joue le rôle de la cruelle marâtre, excelle. Toutefois ça ne tombe jamais dans l’excès. Je suis frappé par la petite fille, Sofia Oral, qui tient le rôle de Carmencita (Blanca Nieves enfant). Elle a dû être particulièrement bien dirigée, son jeu est d’une sobriété et d’une justesse exemplaires.

Enfin le film est magnifiquement servi par la musique originale d’Alfonso de Villalonga.

La trame de l’histoire est fidèle aux frères Grimm. Le roi est remplacé par un torero au faite de sa gloire, Antonio Villalta, interprété par le mexicain Daniel Gimenez Cacho. Nous le voyons, au début du film, blessé dans les arènes de Sévile, par le dernier taureau d’une corrida où il affrontait les six, et où assiste sa jeune femme prête d’accoucher. Dans les dures séquences qui suivent, traitées en parallèle avec maestria, le torero est opéré crûment à l’infirmerie des arènes pendant que sa femme meurt non moins crûment en mettant au monde une petite Carmencita. Le torero en sortira tétraplégique tandis que son infirmière, la méchante Encarna, devant la perspective de disposer d’un homme réduit à l’état de légume et de disposer surtout de son immense fortune s’en fera épouser, ce qui ne la dispensera pas d’utiliser son chauffeur pour explorer l’univers de la «Vénus à la fourrure» inventée, et peut être expérimentée, par Sader Masoch.

La petite Carmencita (Sofia Oral) vivra, nostalgique mais à peu près heureuse, chez sa grand-mère jusqu’au jour de sa première communion qui sera aussi celui de la mort de l’aïeule. Conduite à grand renfort d’apparat dans l’immense et impressionnante demeure paternelle, elle y occupera un réduit dans la cave et deviendra le souillon et le souffle douleur de sa marâtre. Elle ne pourra rencontrer son père et s’en faire aimer que clandestinement, à la dérobée, dans les scènes les plus délicates et les plus déchirantes du film. Elle lui témoignera que la sangre torera coule aussi dans ses veines et apprendra de lui qu’il ne faut jamais perdre de vue les yeux du taureau… Ensuite tout continue comme dans le comte, Carmen adolescente (Macarena García), échappe à la mort commanditée par sa marâtre, en sort amnésique,  est recueillie par une petite troupe de nains toreros, ils ne sont que six, ils appellent  “Blanca Nieves” cette belle inconnue à la peau blanche et aux cheveux d’ébène qui va bientôt se charger de la partie sérieuse de leur spectacle comico-taurin …

Elle connaîtra enfin la gloire dans les arènes de Séville où elle retrouvera la mémoire et savourera le plaisir d’être reconnue et célébrée comme la fille du grand torero disparu, mais après ce triomphe, elle n’échappera pas à la pomme empoisonnée.

D’inoubliables morceaux de bravoure émaillent le film.  C’est, par exemple, la scène surréaliste où le vieux torero mort, vêtu de son costume constellé de lumières, est assis sur un canapé où chacun, à la suite de l’assassine veuve éplorée, vient s’assoir à côté de lui sans ménagement pour une séance de photographies. Ça fait immanquablement penser à la fin de Franco, quand amaigri et moribond, sanglé sur un fauteuil dans un uniforme constellé de médailles, il était brièvement présenté à la télévision agitant sa petite main desséchée dans un geste mécanique de marionnette.

L’assassinat du chauffeur-esclave par sa maîtresse est aussi une scène très forte mais qui se voit avec détachement, il faut bien que les méchants soient punis.

Il y a, aussi cette haletante poursuite dans le labyrinthe des chiqueros d’Aranjuez où les nains, experts dans le savant maniement des portes, dirigent implacablement  le taureau gracié vers la monstrueuse marâtre, nous savons, quand son ombre la recouvre, que son sort est scellé et nous en sommes parfaitement heureux.  

Il y a, enfin, le poignant épisode final où Blanca Nieves dans son cercueil de verre sera misérablement trimballée par un cirque ambulant …, dans l’attente d’un véritable prince charmant qui tarde à se manifester si bien que le film se termine sur une larme de désolation ou, peut-être, d’espoir.

Il est à regretter que le sociologiquement correct ait imposé la grâce du taureau. Difficile de se dégager complètement de l’emprise poisseuse de Dysney !

A ceci près, ce film exalte l’Espagne profonde et taurine. Il sert tout à fait  ce « Bien d’Intérêt Culturel » que le parlement Espagnol est en passe de promulguer.

N’hésitez pas à aller le voir en famille avec enfants et petits-enfants. Pour y avoir amené mes petits-enfants, je sais qu’ils n’ont eu peur que juste le peu qu’il fallait pour les émoustiller et capter leur attention, ils n’ont pas détaché  leurs yeux de l’écran, ils sont sortis graves et émerveillés.

À l’intention des aficionados je précise que :

L’organisation de toutes les parties taurines du film étaient confiées à l’ancien torero, José Luis Seseña.

Si le film situe l’action à Séville, les scènes de corrida ont été tournées dans les arènes d’Aranjuez.

Les scènes de torero comique avec les nains ont été tournées sur la plaza mayor de Pedraza, petite ville médiévale située près de Ségovie.

L’acteur Daniel Gimenez Cacho qui jouait le rôle du matador Villalta était doublé par le matador tolédan José Germán. Les taureaux étaient de Montalvo.

Dans ces mêmes arènes, Macarena García, qui interprétait le rôle de Blanca Nieves était doublée par la novillera, Ana Infante. La petite histoire retiendra qu’elle toréa beaucoup durant la matinée de cette rude journée caniculaire de juin 2011, jusqu’à souffrir d’une crise de lipothymie sévère. Cristian Escribano (à ne pas confondre avec Manuel Escribano), encore novillero alors, était là, en simple spectateur, grâce à sa proximité avec son apoderado qui n’était autre que José Luis Seseña. L’étroitesse de sa taille lui permit d’enfiler sans difficulté le costume de lumière de Blanca Nieves et de se faire fille torera pour poursuivre le doublage et sauver, au pied levé, cette lourde et onéreuse journée de tournage.

Enfin, couronnement triomphal attendu, lors de la 27ème cérémonie de l’Académie des arts et des sciences cinématographiques d’Espagne qui s’est tenue dimanche 17 février à Madrid, “Blanca Nieves” vient de remporter le  “Goya” du meilleur film (équivalent d’un “Oscar” à Los Angeles ou d’un César à Paris).

Ce film a cumulé, en outre, les prix “Goya” de :



 
 



 
 
Jean-Jacques Dhomps