Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Le 16 février 2018, le « Guide éthique et pratiques éco-responsables de l’élevage du taureau en France » a été ratifié par les 200 éleveurs français de taureaux de combat et de jeux, l’Association Française des Vétérinaires taurins, l’Union des Villes Taurines françaises, l’Observatoire National des Cultures Taurines, la Fédération Française de Course Camarguaise, les élus régionaux et départementaux, les chambres d’agriculture du Gard et des Bouches du Rhône, le Conservatoire du Littoral PACA, le Conservatoire du Patrimoine biologique région Occitanie, l’Institut Régional de la qualité agro-alimentaire Occitanie Pyrénées Méditerranée, le Syndicat mixte de la Camargue gardoise, le Syndicat mixte du Pays d’Arles, l’Institut National de l’origine et de la qualité.
Exemplaire en raison de la préservation des territoires et des espèces à laquelle il contribue, l’élevage des taureaux de combat et de jeux en « pâturage en élevage extensif » illustre l’application du concept de développement durable qui se pratique en Camargue depuis des décennies. Cette méthode d’élevage se fait dans des conditions difficiles pour l’éleveur (manipulation du bétail dangereuse et minutieuse), et garantit une bonne qualité environnementale des milieux.
Cet élevage est également le garant d’une économie dont le spectre très large s’étend des espaces ruraux jusqu’aux nombreuses villes et villages du Sud de la France où se pratique la fête du taureau. Elle contribue, outre à la conservation des races de ces taureaux, au maintien d’hommes et de femmes sur des territoires ruraux qui ont eu à subir depuis plusieurs décennies, une forte désertification.

Guide éthique
et pratiques éco-responsables de l’élevage
du taureau en France

 

 

INTRODUCTION

En France l’élevage de taureaux de jeux – nous appellerons ainsi les deux races que l’on élève dans le Sud de la France pour les jeux taurins pratiqués dans les arènes (course camarguaise et corrida) ou pour des animations de rues (Dervieux, 2011) – s’est développé pour dépasser aujourd’hui le chiffre de 27000 têtes réparties dans près de 200 élevages. Il s’agit d’un élevage particulier qui se développe en France malgré un contexte défavorable à l’agriculture.

Concentré d’abord dans le delta du Rhône (Camargue), cet élevage a franchi les marges du delta pour s’étendre dans les arrières pays (Alpilles, Cévennes, Crau) et le littoral languedocien. Il se développe également dans le Sud Ouest, où l’on compte 7 élevages de taureaux de combat auxquels il faut ajouter quelques 1500 vaches de même origine, destinées à la course landaise. Globalement, 2/3 de ces taureaux de jeux sont des bovins de souche camarguaise, 1/3 de la souche espagnole dite « taureau de combat ».

Les taureaux de combat sont élevés dans les ganaderías, élevage extensif qui contribue au maintien de la biodiversité dans les régions où se pratique ce type d’élevage en raison du maintien de l’ouverture des milieux. Une cinquantaine d’éleveurs français élève des taureaux de combats. Près de 2,5 millions de personnes assistent chaque année aux diverses manifestations taurines.

Dans ce document, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’élevage de taureaux de combat (taureaux bravos). Cependant, s’il existe des différences sensibles quand à la conduite technique de l’élevage de taureaux de jeux camarguais (raço di biou) et leur finalité dans l’arène, la qualité des soins apporté au bétail d’une part et l’effet sur les paysages en terme d’écologie et de biodiversité sont les mêmes. La qualité de la prestation des animaux en piste est tributaire de la qualité des soins qui leurs sont apportés. Ils sont les acteurs majeurs sans qui rien de tout cela n’existerait : jeux taurins, élevages mêmes de ces bovins très particuliers, sans oublier la contribution majeure à l’économie et à la durabilité des territoires qui les abritent.

EFFECTIFS ET RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE

L’association des Eleveurs Français de Taureaux de Combat est reconnue par l’Europe « Organisme de Sélection » depuis 2009. Elle gère  le livre généalogique de la race bovine de Combat et  compte au 31 décembre 2013, 7 470 animaux inscrits, dont environ 2 430 vaches reproductrices.

La race de combat est dite « à petits effectifs » car elle présente sur le territoire national un effectif de moins de 5 000 femelles reproductrices (Arrêté du 26 juillet 2007).

L’élevage de ces bovins à la vocation atypique, se pratique en liberté : il s’agit d’un élevage extensif. Les terres de parcours ne possèdent aucun abri artificiel et les animaux sont ainsi soumis aux rigueurs du climat (froid, chaleur, nuisances insectes) qui leur permet de conserver une rusticité indispensable à ce type d’élevage. Cette rusticité les rend très résistants et l’intervention très ponctuelle de l’homme leur confère une sauvagerie indispensable à leur comportement dans l’arène.

LES PRATIQUES D’ÉLEVAGE

La vie du taureau : du campo …

Les pratiques peuvent varier avec les éleveurs et la qualité des territoires investis mais toutes les ganaderias possèdent une base de travail identique avec des installations nécessaires à la manipulation du bétail : couloirs, enclos (corrales), arènes de tienta (sélection)…

La plupart des animaux évoluent en liberté dans des milieux non cultivés, naturels ou pseudo-naturels . D’un point de vue technique, les troupeaux sont répartis en séparant les mâles des femelles qui ne sont mis en présence des étalons reproducteurs sélectionnés qu’à la saison adaptée. Les jeunes sont séparés de leur mère au sevrage et répartis suivant les conduites techniques propres aux ganaderos (éleveurs). C’est au printemps que celui-ci va devoir prendre une série de décisions qui engagent l’avenir de son élevage. C’est en effet du choix des géniteurs, de leur généalogie, de l’appréciation de leurs qualités, en un mot de la sélection, que va dépendre la réputation future de l’élevage, liée à la qualité des taureaux qui se mesure d’abord à leur agressivité constante.

Les femelles sont testées à l’âge de deux à trois ans. Selon leur comportement lors de ces tests (tientas) elles sont réparties en deux groupes. Les reproductrices, qui seront mises au taureau pour vêler et qui forment la base de la conservation du cheptel de l’éleveur avec les qualités qu’il recherche ; celles qui ne seront pas conservées dont une partie pourra rejoindre les troupeaux de vaches landaises (courses landaises).Les femelles reproductrices sont élevées collectivement.

En ce qui concerne les mâles, les étalons reproducteurs sont sélectionnés également lors d’une tienta d’après leur potentiel génétique (origine de leur famille), leurs caractéristiques physiques et leur comportement. Cette sélection contribue de façon fondamentale au type de produits recherchés par l’éleveur.

Une fois ces décisions prises, l’éleveur respecte le rythme naturel de reproduction : les saillies ont généralement lieu en juin en monte naturelle pour que les vêlages s’effectuent en mars de l’année suivante.

Les mâles, destinés à combattre dans les arènes, sont le plus souvent regroupés par tranches d’âges. Ils bénéficient ainsi de soins adaptés, notamment une alimentation destinée à « préparer » au mieux un taureau pour favoriser une belle présentation. Un taureau mâle destiné à l’arène est laissé en compagnie de ses congénères jusqu’à l’âge de 3 ans (novillo) ou 4 ans (toro) sur de grands pâturages. Regroupés par lots afin de s’habituer à la cohabitation, ils apprennent à vivre dans un groupe où la hiérarchie devra s’installer sous peine de combats « fraternels » souvent mortels.

Ces animaux vivent en totale liberté, l’éleveur n’intervenant que pour dispenser les soins vétérinaires fondamentaux (vermifuges, prophylaxie, etc.) ainsi que pour veiller au bien être de chacun de ses taureaux.

En France, la majorité des ganaderos ont signé la « Charte des Bonnes Pratiques d’Elevage ». Lancée en 1999 par la Confédération Nationale de l’Elevage,  elle a été créée pour répondre aux attentes des filières et de la société, comme pour s’adapter aux transformations du métier d’éleveur. Cette Charte est une démarche en constante évolution : la première version, née en 1999 en réponse à la crise de la vache folle, était avant tout centrée sur la traçabilité des aliments et des animaux.

En 2003, une deuxième version a été lancée pour intégrer les nouvelles réglementations de la PAC (Politique Agricole Commune), en particulier sur la traçabilité des pratiques sanitaires.

Revue en 2007, le volet bien-être animal a été précisé et la charte élargie aux élevages de veaux.

La Charte est une démarche pour aider les éleveurs à progresser dans leurs pratiques et répondre aux attentes de leurs partenaires et des citoyens. L’adhésion se fait sur une base volontaire et individuelle. En adhérant à la Charte, chaque éleveur de bovins prend 6 engagements essentiels.

Pour ce qui nous concerne (un 6e ne concerne que l’élevage laitier) :

  • assurer la traçabilité des animaux de son exploitation ;
  • s’assurer de la santé de son troupeau ;
  • fournir une alimentation saine, équilibrée et suivie à ses animaux ;
  • s’assurer du bien-être des animaux et veiller à la sécurité des personnes travaillant sur l’exploitation ou intervenant ponctuellement auprès des animaux ;
  • participer à la protection de l’environnement ;

Elle implique pour l’éleveur qui signe la Charte le respect de critères précis qui lui permettent bien souvent d’anticiper la réglementation. Des audits permettent de s’assurer du bon fonctionnement du dispositif à tous ses échelons (élevages, organismes d’accompagnement/entreprises, animation régionale et nationale).

En ce qui concerne la présente Charte spécifique aux taureaux de combat s’ajoute un engagement supplémentaire et tout aussi fondamental : préserver à chaque moment de son existence l’identité sauvage du taureau, qui est en même temps une condition de son bien-être, le garant de l’éthique et celui de l’authenticité du spectacle de l’arène.

… vers la ville et l’arène

L’embarquement se fait à l’élevage. Dans la grande majorité des cas, c’est un lot de 6 à 7 taureaux qui est embarqué dans des camions équipés à cet effet.

Chaque taureau est enfermé dans une case individuelle afin de garantir sa sécurité.

Il existe une réglementation très stricte quant au transport des animaux et a fortiori des taureaux de combat. C’est le Règlement européen  (CE1/2005) qui en matière de protection animale vise à épargner à ces derniers toutes souffrances inutiles. Reconnus êtres sensibles, ils « doivent être placés dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de leur espèce ». Ce règlement prévoit notamment des règles plus strictes pour les transports de longue durée, et définit des normes supplémentaires de conformité pour les véhicules, par ailleurs contrôlés par GPS.

Les animaux sont protégés des conditions météorologiques difficiles, le plancher des cases est antidérapant, la litière obligatoire, les cloisons « solides » de telle sorte que le taureau ne puisse se retourner, l’aération suffisante, avec ventilation permettant en outre de respecter une température ambiante correcte, le tout contrôlé par GPS.

Enfin l’abreuvement est vital et des systèmes d’abreuvoirs adaptés à l’espèce seront mis en place. Il faut toutefois garder à l’esprit que le taureau brave est par nature sauvage, et que toute manipulation (embarquement, débarquement, bruit) est source de stress, et se traduit par un risque accru de conflit.

Dés lors qu’il se trouve hors de son milieu naturel, le taureau vit chaque situation comme une agression potentielle, ce qui explique le luxe de précautions mis en œuvre pour assurer son transport dans les conditions les moins pénalisantes pour lui. Car il ne faut pas l’oublier, de son état physique et psychique dépend entièrement la qualité du spectacle de l’arène.

Arrivé à destination, le taureau est débarqué  du camion et placé dans un lieu appelé corral, parc jouxtant souvent l’arène où il combattra. Cette opération est périlleuse. Les animaux sont alors prêts à en découdre avec tout ce qui leur semble porter atteinte à l’intégrité de leur périmètre : une porte qui bouge devant eux, un autre animal aperçu derrière, sont des casus belli suivis d’effets immédiats, raison pour laquelle les opérations de débarquements sont souvent longues et minutieuses. L’expérience du « mayoral » ou du gardian de l’élevage est alors primordiale : il faut connaître les « dominés » pour les regrouper ensemble avant l’arrivée du dominant, et éviter ainsi tout affrontement qui peut se solder par la mort instantanée d’un ou plusieurs taureaux, dans un espace clos où les animaux ne disposent plus, comme dans l’élevage, de possibilité de fuite.

La durée du séjour dans ces parcs est, dans l’idéal, de 4 jours minimum, afin de laisser les animaux récupérer de la fatigue du voyage, de leur laisser le temps de s’habituer à ce nouvel habitat, de retrouver leur nourriture habituelle mise dans des auges posées à même le sol (terre battue pour éviter toute lésion aux tendons des pattes) auges dont le nombre sera supérieur à celui des animaux pour éviter, là encore, des combats de préséance.

Dans leur corral, les taureaux vont se reposer, se nourrir et boire pour récupérer le poids perdu pendant le transport (parfois jusqu’à 50 kg pour des animaux de 500 et plus)afin de se présenter au meilleur de leur forme le jour du combat. Ils sont surveillés nuit et jour, toujours pour éviter que des combats fratricides n’éclatent.

Enfin, le jour de leur combat, les taureaux sont enfermés quelques heures avant la course dans les chiqueros (cases individuelles) du toril des arènes, pour pouvoir être lâchés en piste dans l’ordre choisi par les matadors après qu’ils ont tiré les lots au sort. Une surveillance étroite y est également mise en place afin de protéger les animaux contre toute intrusion non souhaitée.

Grâce aux constats post-mortem systématiques réalisés à la demande de l’Union des Villes Taurines Françaises par l’Association des Vétérinaires Taurins Français, il est possible de démontrer que les accusations de mauvais traitements infligés au taureau en amont de la corrida sont sans fondement et relèvent de la malveillance.

Et il est possible de démontrer aussi, grâce aux analyses systématiques pratiquées par l’Association des Vétérinaires Taurins Français, que les manipulations frauduleuses de cornes ont été quasiment éradiquées.

LES ORIGINES

Les taureaux de combat élevés en France sont originaires de la péninsule ibérique. Les principales races à l’origine des élevages actuels sont peu nombreuses. Un décret du Ministère espagnol de l’Intérieur, paru au Journal Officiel du 13 février 2001, établit ainsi la liste des races originelles: Race Cabrera (type Miura), Race Gallardo (type Pablo Romero), Race Navarra, Race Vazqueña (type Concha y Sierra), Race Vistahermosa (types Murube).

A partir du XVIII° siècle, les éleveurs espagnols de taureaux de combat commencent à instaurer des méthodes rationnelles d’élevage pour sélectionner les caractères essentiels des taureaux de combat que sont la bravoure etla morphologie souhaitée. Les produits obtenus sont essentiellement des animaux de belle allure et surtout de grande puissance. Les races de taureaux de combat sont représentées par des animaux qui possèdent des caractéristiques physiques et de comportement très spécifiques (morphologie, type de galop, de charge, etc.).

Avec l’évolution du spectacle les pratiques d’élevage ont été perfectionnées, le but ayant toujours été de doter le taureau de davantage de force, d’agressivité et de mobilité qu’il n’en a jamais eu tout au long de l’histoire des jeux taurins.

Pour y parvenir, le travail de sélection s’apparente à une longue quête dont les fruits ne peuvent être évalués qu’après de nombreuses années, ce qui rend le métier d’éleveur particulièrement aléatoire et ce qui suppose le plus souvent des investissements conséquents, tant en matière d’infrastructure que d’amélioration de la race.

En France, le Livre Généalogique de la Race de Combat est tenu par l’Association des Eleveurs Français de Taureaux de Combat (AEFTC) depuis 1996.

Relié au Livre Généalogique tenu par le Ministère de l’Intérieur Espagnol, il permet à chaque élevage français d’assurer la traçabilité de ses animaux au regard des races fondamentales qui sont répertoriées et suivies dans le précédent.

ÉLEVAGE ET BIODIVERSITÉ

Nombre des milieux pâturés de façon extensive, longtemps considérés comme improductifs, font aujourd’hui l’attention des environnementalistes, des écologues et des biologistes, mais aussi de l’Etat et des collectivités territoriales : création de Parcs (Nationaux, Régionaux) de Réserves naturelles, achat de terres par le Conservatoire du Littoral. Sur ces terrains, la disparition des usages produit en quelques décennies, un changement paysager très net (voir par ex. Lepart et al, 1999 ; Dervieux, 2000) en raison du développement des strates arborées et des ligneux qui ferment les milieux et tendent à éliminer des espèces emblématiques des milieux ouverts ou semi ouverts. Du point de vue de la biodiversité, l’herbivorie – on doit ajouter à celui des taureaux, l’élevage des chevaux qui en est le complément – joue un rôle positif important : elle empêche la fermeture défavorable à de nombreuses espèces floristiques (Vianet et al., 2007), sa présence entraîne celle d’un cortège d’insectes, ressource alimentaires d’oiseaux et mammifères (Mesléard, 2008), limite le développement des espèces invasives. Le pâturage extensif est donné aujourd’hui comme un moyen écologique d’entretenir la diversité biologique de milieux d’où il est exclu pour des raisons économiques ou de conservation de la nature, d’intervenir mécaniquement. Il contribue ainsi à la valorisation économique de la biodiversité, partout où est évité le surpâturage. On voit par là le rôle important que peut avoir l’existence de ces élevages en termes de développement durable.

L’exemple camarguais

Nous nous attarderons sur quelques exemples liés au delta du Rhône, où la majorité des taureaux de combat français sont élevés (85 % des élevages français de taureaux de combat se trouvent dans cette zone). Ils sont représentatifs du rôle écologique de l’élevage extensif et peuvent être étendus à d’autres territoires selon leurs spécificités écologiques propres.

En Camargue, plus de la moitié de la superficie du territoire est constituée d’espaces naturels (51 % de l’occupation du sol). Avec la protection de la nature, le pâturage extensif est un des modes de gestion de ces espaces. Il permet l’entretien des sansouires (9 000ha), des marais (10 000 ha), des roselières et jonchaies (6 000 ha), des pelouses (2 000 ha), ainsi que des boisements (3 000 ha), là où il est implanté (ces chiffres sont tirés de l’analyse de l’occupation du sol réalisée par le Parc Naturel Régional de Camargue ; PNRC, 2013).

Certaines espèces végétales patrimoniales se développent exclusivement dans des milieux ouverts et sont donc directement dépendantes de l’action sur les habitats des taureaux et de chevaux (ex : Orchidées, Cresse de Crête, Nivéole d’été, etc.). Une espèce, l’Héliotrope couché ne pousse même que dans les marais temporaires fortement piétinés par le bétail. On peut aussi citer certaines espèces d’oiseaux insectivores (tel que le Héron garde-bœufs) qui s’alimentent préférentiellement dans les manades. D’autres espèces (Echasse blanche, Glaréole à collier, etc.) profitent de l’ouverture du milieu mais aussi de l’impact du piétinement du bétail sur le sol (cuvettes naturelles) pour installer leurs nids. Certaines espèces rares de chauves-souris s’alimentent quasi exclusivement d’insectes présents dans les crottes des bovins. La fauche des prairies humides, liée aux activités d’élevage, est également indispensable pour la conservation de certaines espèces végétales.

On voit ici qu’il est important de parler des parcours de l’élevage, ou plutôt ici, en Camargue, des espaces occupés par l’élevage, tels que marais, sansouires (steppes salées à salicornes), prairies naturelles ou encore parcelles agricoles après la récolte, selon les saisons. Il faut ainsi souligner l’intérêt de l’élevage pour la valorisation des terres basses et humides autrefois non rentables.

Ce mode de pâturage, pratiqué en semi-liberté de manière très extensive (moins d’un animal à l’hectare) sur de vastes étendues et sans équipements (ni écuries, ni étables), contribue directement au maintien des habitats des autres espèces animales et végétales. On considère en effet, qu’une des raisons majeures à l’érosion de la biodiversité dans le monde est due à la réduction des habitats.

Ainsi, dans le Parc Naturel Régional de Camargue et sur l’ensemble du delta du Rhône, l’élevage extensif des deux races de taureaux (raço di biou et combat), de chevaux et dans une moindre mesure de moutons, contribue au maintien d’habitats naturels. Il joue un rôle environnemental majeur parce qu’il influence l’évolution de la dynamique végétale des milieux naturels (sansouires, prés salés, marais et pelouses) : chevaux et taureaux limitent l’accroissement de certaines espèces végétales, et utilisent de grands ensembles de végétation composés d’une mosaïque d’habitats juxtaposés et interconnectés.

D’un point de vue plus large, les élevages, fortement ancrées dans la vie camarguaise, en constituent l’un des piliers : par l’organisation de nombreuses manifestations taurines et festives rapprochant notamment entre eux les différents secteurs de productions du terroir ; par la reconnaissance et le maintien des traditions et d’un patrimoine unique en France.

Au poids économique croissant de cet élevage qui se développe depuis une vingtaine d’années, s’ajoute d’autres aspects économiques : la commercialisation de la viande de taureaux (celle des animaux élevés dans le delta à obtenu un label AOC en 1996, cf. plus loin) et les spectacles dans les nombreuses villes et villages du sud de le France.

L’élevage extensif indissociable d’une identité culturelle forte en Camargue

Jusqu’à la fin de la première moitié du XXe s, les taureaux, de fait surtout les biou camarguais, occupent les dépressions qui forment les marais, en raison de leur faible rentabilité. Entre les cultures posées sur les « hauteurs » (sur les bourrelets alluviaux) et les marais, ce sont les moutons qui portent alors la valeur économique et pâturent les sansouires et les prairies naturelles salées. Aujourd’hui, le mouton est moins présent en Camargue. Le taureau l’a remplacé pour partie dans ces espaces de meilleure qualité et occupe des zones diverses suivant la saison. Dans les marais, la chasse au gibier d’eau – autre innovation économique des années 1960/70 – assure des revenus complémentaires pour les exploitations. L’entretien de ces étendues se fait alors naturellement par le pâturage des taureaux et des chevaux pendant la fermeture de la chasse. L’élevage est ainsi le complément de cette activité parce qu’il permet de limiter, entre autres, des interventions mécaniques peu souhaitables pour les milieux humides (fauche des roseaux ou écrasement par tracteurs munis de« roues cages », traitements chimiques, etc.).

Le développement des loisirs et du tourisme a également provoqué l’essor des jeux taurins dans les arènes des villes et villages de la région et au-delà, qui a induit une rapide croissance de l’élevage.

Alors que jusque dans les années 70-80 (fin de l’essor de la riziculture) les éleveurs étaient considérés par la branche productive de l’agriculture qu’était la riziculture, au mieux comme des rêveurs (activité considérée comme peu sérieuse), leur métier est aujourd’hui valorisé et l’élevage maintenant considéré comme un élément moteur. Les éleveurs font partie des membres fondateurs du Parc naturel régional de Camargue. Ils sont un soutien indispensable au Parc qui en retour, apporte son appui à l’élevage en abritant les associations d’éleveurs, en finançant son secrétariat, en apportant son aide lors des crises dues aux inondations ou aux fortes pluies, par exemple pour l’affouragement indispensable alors que la ressource alimentaire habituelle n’est plus accessible.

Voir disparaître les taureaux avec l’éventuelle disparition des jeux taurins auxquels ils sont destinés, serait une perte considérable, d’un point de vue économique, pour de nombreuses filières qui dépendent de cette saisonnalité.

Mais elle le serait également en termes d’environnement. En ces temps où l’extinction de nombreuses espèces est due aux activités humaines (urbanisation non contrôlée, pollutions diverses, etc.) elle entraînerait une régression des habitats et la disparition d’importantes ressources génétiques.

Ce point touche à l’un des aspects trop souvent négligé du développement durable et de son lien avec les territoires ruraux, à savoir l’équité sociale : ces élevages sont à même de permettre le maintien sur le territoire d’exploitants ruraux, dont le poids économique est d’autant plus à considérer qu’il faut aussi y inclure les retombées en termes de spectacles et d’animation des villes et villages du sud de la France. Le tableau suivant (tableau 1) montre l’évolution des effectifs depuis 2000.

 

Les effectifs des taureaux de jeux en France et leur évolution

Années

Taureaux de jeux

Nb d’élevages

Nb d’animaux

2000 camarguais 89 15200
combat 39 6900
2005 camarguais 135 18516 / Arles 3790 (20%)
combat 40 7100 / Arles 4000 (56%)
Déc. 2009 camarguais 149 18000
combat 46 7000

 

Des outils et des mesures complémentaires pour une gestion environnementale

Depuis 1993, les éleveurs camarguais ont adopté des mesures agro-environnementales qui ont été renouvelées en juin 2007 puis en 2013. Par ce dispositif d’incitation financière, les éleveurs de taureaux s’engagent à améliorer encore leurs pratiques professionnelles pour favoriser le fonctionnement des milieux naturels. Cela concerne par exemple la limitation du pâturage dans certaines roselières pour protéger les sites de nidification des hérons (hérons pourprés et cendrés, héron butor étoilé), l’assèchement estival de certains marais pour améliorer leur productivité ou bien encore la transformation de rizières en marais pâturés ou en roselières.

D’autres M.A.E. sont en cours pour favoriser un agro pastoralisme favorable au maintien des paysages. “Milieux humides et manades de Camargue”, se déclinent en protection des roselières, dunes fluviatiles, pâturage extensif pendant 8 mois, pâturage très extensif toute l’année, conversion de rizières en roselières ou marais pâturés, accompagnées d’un cahier des charges précis, adapté aux besoins de conservation des milieux et aux pratiques de gestion du pâturage en Camargue.

Différentes études ont été menée afin d’amener les éleveurs à prendre en compte leur impact sur les milieux pâturés : cahier technique pour une gestion du risque parasitaire bovin (Vadon, 2011), ou l’ouvrage « Gestion partagée d’un marais en Camargue » (Tour du Valat et Association les Marais du Verdier, 2011).

La Valorisation des pratiques par les démarches de qualité

Les éleveurs de taureaux se sont également engagés dans des démarches de qualité, avec notamment la création en 1992 du syndicat interprofessionnel de la viande  « Taureau de Camargue », reconnue par le décret du 3 décembre 1996, la viande issue des races Camargue, Brave ou du croisement des deux peut être valorisée sous la forme d’une appellation d’origine contrôlée « Taureau de Camargue » qui concerne aujourd’hui 90 éleveurs et 1700 bêtes sur l’ensemble du territoire de l’appellation.

Reconnue par l’Europe en 2009 comme « Appellation d’Origine Protégée », elle fut la première viande rouge à obtenir ce label en France. Les élevages ayant droit à ce label sont situés dans une zone humide délimitée dans les départements des Bouches du Rhône, du Gard et de l’Hérault.

Le cahier des charges et les contraintes imposées pour être éligibles stipule notamment les points suivants :

–  l’élevage est extensif, en zone sèche et humide : le chargement ne peut être supérieur à 1 UGB (unité gros bovins) pour 1,5 ha de pâturage sur l’ensemble de l’aire géographique

– les animaux doivent provenir de manades ou ganaderias situées dans l’aire géographique de l’appellation où ils sont nés et élevés. Tous doivent séjourner au minimum 6 mois, sans affouragement, dans la période d’avril à novembre, dans une zone dite humide, définie à l’intérieur de l’aire géographique

– les critères de sélection génétique correspondent aux règles des jeux taurins à l’exclusion des critères bouchers

–  les animaux qui participent aux jeux taurins sont exclus de l’AOC

–  le mode d’élevage est extensif, l’alimentation est la pâture. En période hivernale, un complément alimentaire peut être apporté à l’aide de foin et de céréales originaires de l’aire géographique

Dans le même esprit, le Parc a décidé d’engager une procédure d’attribution de la marque « Parc naturel régional de Camargue » aux manades de taureaux accueillant du public. Le cahier des charges de ce marquage « Parc naturel régional » accorde une priorité à la protection du patrimoine (naturel, culturel et bâti) et à la qualité de l’accueil. Les plus grandes exploitations polyvalentes ont développé l’élevage et les gîtes ruraux. Les incitations au pâturage extensif ont poussé à la conversion de certaines terres agricoles en prés de fauche ou en prairies extensives, ou, pour les plus basses, en milieux naturels utilisés.

La spécificité des chevaux de piques

Le spectacle de l’arène, c’est aussi celui de l’affrontement entre le taureau et le cheval de piques, moment primordial, car il permet de vérifier la bravoure du premier qui est la garante de l’authenticité de son combat. À ce niveau aussi, une démarche de qualité a été mise en place afin de valoriser l’activité.

Contrairement à des idées reçues véhiculées de manière malveillante, les chevaux de piques ne sont pas de pauvres animaux livrés en pâture au taureau, mais de superbes athlètes parfaitement préparés pour cet exercice.

Une étude réalisée par la clinique vétérinaire des Arènes à Saint-Gilles, qui suit depuis sa création la principale écurie de piques, atteste que depuis 23 ans aucun des chevaux utilisés n’est mort en piste, et que le suivi des équins qui comprend une visite mensuelle n’a relevé que peu ou pas de traumatisme. Il est à signaler que ces chevaux sont visités également régulièrement par un ostéopathe équin et un dentiste.

Malgré la violence parfois spectaculaire des rencontres entre le cheval et le taureau, cela tient au fait qu’a été mis au point un matériel de protection extrêmement sophistiqué, à base de Kevlar, tissus anti-balles et anti-armes blanches, qui ne pèse que 25 kilos, et permet donc au cheval qui en pèse 650 de conserver toute sa liberté de mouvements.

Ces chevaux, dont le dressage parfait explique les performances, jouit, à l’image du taureau, de conditions de vie optimales, au pré d’avril à novembre dans le Gers où ils disposent d’une herbe abondante à forte teneur en minéraux et vitamines, de mars à novembre en Petite-Camargue à Beauvoisin dans le Gard où abonde un chiendent très riche.

Dans le Gers, à Laas, l’eau à volonté est fournie par les pompes de la propriété, et provient en Camargue du forage du Mas des Pointes.

Ils sont en boxes, au paddock ou en stalle pendant les périodes travail intensif qui précèdent la saison, chacun bénéficiant alors d’un régime individualisé.

En boxes ou paddock, leur alimentation quotidienne, servie trois fois par jour, comprend du fourrage à volonté récolté sur les prés du Gers, de la paille en litière et des compléments alimentaires le matin, de l’orge aplatie à la propriété le midi et du fourrage l’après-midi. Pendant les périodes de travail intensif, du foin de Crau ou de la luzerne leur est apporté, ainsi que de la graine de lin bouillie une fois par semaine et mélangée à du son afin de favoriser le transit intestinal.

Le transport des animaux qui participent aux principales ferias en France et en Espagne est assuré par les camions de l’écurie, conformes à la réglementation européenne, visés par la DDPP du Gard et agréés pour le Transport longue durée.

Afin d’optimiser l’activité et de la rendre plus performante, un élevage spécifique de chevaux de piques a été créé dans le Gers, par croisement entre des étalons andalous et des juments bretones, ce qui permet d’obtenir des produits résistants et mobiles à la fois. Grâce à la reprise, encouragée par la Safer, d’une exploitation de 40 hectares et de la ferme attenante datant du XVIIIème siècle, cet élevage a débouché sur une activité agricole compromise. Les prairies y sont naturelles, sans ajouts d’engrais ni pesticides, ce qui permet de préservées les prairies humides et les berges du ruisseau Le Bourda.

CONCLUSION

Elevage, bien-être et développement durable

Le fonctionnement des écosystèmes résulte d’un équilibre entre les différents éléments le composant. Un écosystème où la végétation est un élément important a besoin de son contingent d’herbivores. Ce contingent, par broutage, assure à la végétation vigueur et diversité ; les déjections apportent de la matière organique ; par effet mécanique, le taureau “aère” les fourrés les plus touffus; il entraîne dans son sillage toute une faune qui enrichit l’écosystème.

Il existe donc une forte complémentarité entre l’élevage taurin et la qualité des milieux. De plus en plus, de nos jours, le taureau devient un garant de la protection de ses sites naturels. Il devient nécessaire de lui conserver de grands espaces variant suivant les saisons depuis les bords d’étangs salés, les marais temporaires, les sansouires, jusqu’aux pelouses basses salées sans oublier l’utilisation des terres agricoles après récolte (repousse). Il est nécessaire que le taureau puisse se déplacer pour assurer sa nourriture qui contribue à lui procurer une morphologie « sportive » liée à l’environnement dans lequel il vit. La notion de “pâturage en élevage extensif” trouve ici toute sa réalité et illustre l’application du concept de développement durable qui se pratique de fait en Camargue depuis des décennies. Cette méthode d’élevage se fait dans des conditions difficiles pour l’éleveur (beaucoup de clôtures, manipulation du bétail dangereuse et minutieuse, etc.) mais garantit une bonne qualité environnementale des milieux.

De surcroît l’élevage est le garant d’une économie dont le spectre très large, s’étend des espaces ruraux jusqu’aux nombreuses villes et villages du Sud de la France où se pratiquent la fête du taureau. Elle contribue, outre à la conservation des races de ces taureaux, au maintien d’hommes et de femmes sur des territoires ruraux qui ont eu à subir depuis plusieurs décennies, une forte désertification.

Enfin, pour tous ceux qui, en France et dans le monde, se reconnaissent dans la culture du taureau, les conditions éthiques de son existence et la garantie de son bien-être tout au long de celle-ci sont indissociables de l’authenticité du spectacle auquel on le destine.

Celui-ci ne possède de sens que si le taureau est l’adversaire redoutable aux réminiscences mythiques qui explique la naissance des jeux taurins depuis les débuts de l’Humanité.

Il est, et doit demeurer, le référent absolu de sauvagerie, de force et de bravoure qui ont fait du taureau un des acteurs pérennes de toutes les mythologies, cultures et cultes sur tout le pourtour méditerranéen, un référent à l’aune duquel se mesure la valeur de celui qui l’affronte.

En respectant sa nature sauvage dans un habitat naturel que sa présence contribue à préserver, les éleveurs de taureaux français sont les garants de l’authenticité des spectacles taurins dont tous les intervenants, privés ou institutionnels, garantissent l’éthique en signant cette Charte.

Eléments de bibliographie

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Composition du groupe de travail

Alain Dervieux (ONCT), Claire Espelly (PNRC), Brunon Blohorn (AEFTC), Gérard Bourdeau (AVTF), André Viard (ONCT), Margaux Laugier (PNRC), Régis Vianet (PNRC), Didier Olivry (PNRC)