Observatoire National des Cultures Taurines

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des Cultures Taurines

3 – Des toros dans le roman populaire et la bande dessinée.

Pour conclure cette série d’articles sur l’écriture taurine française, nous allons faire un détour par des œuvres plus récréatives que sont le roman populaire, le roman policier et aussi la bande dessinée sans oublier les livres pour enfants.

Récits d’aventures et d’amour.

Les adjectifs romantique ou romanesque ont traversé ce travail pour rappeler combien ce personnage du torero, anachronique dans notre XXIeme siècle, est avant tout un personnage de roman. Le torero a tous les attributs du héros. Il est sans peur, puisqu’il affronte la mort tous les jours, il est sans attache puisqu’il voyage à travers le pays au gré des contrats, il est jeune, il est fort, il est beau. Que demander de plus pour éveiller l’intérêt et imaginer des histoires romantiques les plus folles, puisque le personnage est déjà hors du commun. Et puis il y a le contexte, particulièrement mystérieux, fait de rituels incompréhensibles pour le néophyte, plein de superstitions, de religion, d’argent, de personnages douteux vivant à la solde du héros. Il y a du danger, des risques de blessures, ce qui met le corps du héros, à priori si parfait, si mis en valeur dans son habit brillant et moulant, en grand danger de destruction immédiate. Tout est donc naturellement en place pour lancer dans ce monde si différent et si proche, une jolie personne (une blonde étrangère par exemple…) en mal d’aventure.

On passe souvent d’abord par la découverte du milieu et des taureaux dans les élevages. Les promenades à cheval vont être alors un moyen de rencontre très bucolique. Ensuite viendrons les tensions.

L’un des ressorts tragiques de ce type de littérature va être la rivalité entre deux femmes.

Juste un petit extrait très significatif : “A quatre ou cinq mètres sous elle, le torero la saluait, avant la sonnerie fatale. Son regard se porta d’abord sur elle, puis sur la Madrilène, et revint enfin se poser sur elle. Dans le silence, alors que Minguel recevait de ses peones la muleta, Simone avait entendu la jeune femme murmurer : La francesa…”[1]

Vous avez tout compris, Simone Valjean découvre au moment d’un brindis qu’elle a une sérieuse rivale, et que la bagarre va être rude, sachant que l’ami torero, semble tenir aux deux, ce qui est sûrement le statut de ces grandes vedettes quelques peu machos.

Certains moments sont privilégiés dans ce type de roman. Aux arènes bien sûr on retient le combat du héros. L’auteur souvent fort peu instruit des choses taurines, raconte un peu n’importe quoi, mais ce n’est pas l’essentiel, cela porte souvent à sourire. Le combat amène la jeune fille à une très forte émotion, elle ferme beaucoup les yeux, détourne la tête, elle peut s’évanouir. Le moment le plus intéressant est souvent ce brindis, acte personnel et quelque fois intime du torero qui, face à 10000 personnes, va dévoiler ses sentiments. C’est là en général que les rivales se découvrent.

J’avais signalé que l’étrangère était blonde, aux yeux bleus, la madrilène ou la gitane est généralement brune avec des yeux de braise.

Encore un petit extrait pour bien comprendre le fonctionnement : “La bête chargea de nouveau et, redressant tout à coup la tête, faillit prendre Carlos par surprise. La pointe de la corne érafla le costume du matador, le déchirant en faisant un bruit qui s’entendit clairement. En voyant sa peau mise à nu par la déchirure, Davina frémit, prise de panique.”[2] Ce n’est pas la peine de faire un dessin pour ressentir le filon érotique qu’il est possible d’exploiter dans ce type de roman.

Polar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sans qu’il y ait un genre défini, il y a un certain nombre de code au roman policier taurin. La violence inhérente à cette activité permet d’imaginer un grand nombre de manière de tuer un protagoniste, en faisant croire à un accident taurin. On drogue souvent le torero pour qu’il perde ses moyens au bon moment. On drogue des fois le taureau pour le rendre encore plus violent.  C’est assez classique, généralement assez peu crédible. En tous les cas pour les écrivains qui cherchent à se renouveler en rencontrant de nouveaux milieux, le taurin est assez original. On peut citer deux auteurs qui, sans s’en faire une spécialité, ont utilisé de nombreuses fois ce contexte. Tout d’abord Paul Max entre les années 20 et 40 dont le roman taurin plus connu est “Mexico”, et Charles Exbrayat dans les années 60 dont le texte le plus célèbre sur ce thème reste “Olé! Torero”.

Il est à signaler que le titre à résonance taurine dans le polar et le livre d’espionnage a créé énormément de faux amis. Le terme corrida, signifiant combat, course ou même pagaille, il apparaît sur un certain nombre de couvertures d’ouvrages où l’on ne rencontrera ni toro ni torero.

 

Bandes dessinées

 

Un grand nombre de héros de romans, au fil de leurs aventures, traversent les frontières et vont vivrent leurs exploits dans un contexte nouveau et souvent exotique : la frontière, espagnole pour le Français, mexicaine pour l’Américain. C’est souvent valable pour les romans d’espionnage. C’est particulièrement vrai pour la bande dessinée. Ainsi beaucoup de héros, bien connus des amateurs de BD, mais aussi passés à la notoriété publique ont un jour été dans une arène. Habillés en torero ou pas, ils ont participé au combat voire, l’ont inventé. Le plus connu d’entre tous est l’extraordinaire aurochéador qu’a été Astérix, notre ancêtre, lors de son voyage en Hispanie. Beaucoup plus surprenant sera d’apprendre que Lucky Luke, les Dalton, Sylvain le copain de Sylvette, Donald, Mickey, Dingo, Tarzan, Zembla (sorte de Tarzan moins connu), les Pieds nickelés, Nounouche, Kiwi, Popeye, Tartine… bref, tous ont toréé, plus ou moins bien, mais toujours avec panache. Le taureau en face, souvent bien présenté question cornes, pour augmenter la sensation de danger, a toujours péri, ou du moins a été réduit à l’inactivité. Certains sont morts bizarrement. Le taureau de Kiwi est mort de rire devant le grotesque de la tenue de l’oiseau torero, les taureaux d’Astérix et de Lucky Luke se sont assommés, celui des Dalton s’est couché tellement les toreros du jour étaient mauvais.

Juste une petite précision. Bécassine qui est allé aux arènes, est restée sagement sur les gradins. Par contre elle est tombée follement amoureuse de Zidore, qui pratiquait la suerte de Don Tancredo, couvert de farine. Pas de chance, la farine l’a fait éternuer au mauvais moment. Que d’émotions pour Bécassine!

Actuellement, le thème taurin n’est pas le bienvenu ni dans la bande dessinée, ni dans les livres illustrés pour les enfants. L’esprit est tellement à la polémique que très peu d’éditeur ne se risquent à faire paraître ce thème dans leurs livres, surtout s’ils s’adressent à des jeunes lecteurs.

L’évolution de la représentation de la tauromachie dans ce type de littérature est tout à fait révélateur du changement des mentalités. Dans les années 70, le journal Tintin a utilisé la BD pour raconter l’histoire d’El Cordobés ou de Manolete. Actuellement cela est impensable. Les rares livres pour enfants racontent le plus souvent des histoires d’amitié entre des enfants et des taureaux. Cela complique les choses pour que chacun reste à sa place.

Autrefois, quand tante Aveline, la tante de Marius, traversait un champ en robe rouge, cela faisait une “Brillante corrida”[3], quand Cadet Paquet y croisait un bœuf il prenait le risque et le plaisir de le toréer,[4] les Pieds Nickelés se nommaient Croquignolos, Filochardez et Ribouldingo, pour remplacer Vermoutalo blessé la veille[5], les Dalton eux prenaient l’apodo de los Daltonitos[6]et la Panthère rose se payait le luxe d’être Panthoréador.[7]

Les temps ont dû bien changer.



[1] Jean Delhat, L’amour revit sans cesse, 1954.

[2] Penny Jordan, Au palais des orangers, 1983.

[3] Thomen, La jeunesse extraordinaire de Marius.

[4] Benjamin Rabier, Cadet Paquet.

[5] Forton, Ollé! ollé! soyons! gais!

[6] Morris, Guylouis, Olé Daltonitos.

[7]La panthère rose, l’idole des foules.