Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

 

Publié le 31/08/2013 à 06h00 dans Sud Ouest

La corrida, « un art total »

Christophe Tardieu, le directeur adjoint de l’Opéra de Paris, est un aficionado et esthète. Il assistera aux corridas du week-end taurin bayonnais.

Christophe Tardieu sera cet après-midi et demain dans les arènes de Bayonne. (photo dr)

propos recueillis par pierre penin

La Feria de l’Atlantique clôt ce week-end la saison taurine bayonnaise (lire par ailleurs). Dans les gradins des arènes Marcel-Dangou, le directeur adjoint de l’Opéra de Paris, Christophe Tardieu, ne manquera rien du spectacle. Aficionado avisé, il évoque sa relation à la tauromachie.

« Sud Ouest ». D’où vient votre afición ?

Christophe Tardieu. Je ne le sais pas bien. Je suis natif de Charente intérieure, pas vraiment une terre d’afición. Je crois que le premier déclic est venu à la lecture du livre « Tu porteras mon deuil », de Lapierre et Collins (Robert Laffont, NDLR). La découverte à travers ces pages des débuts tragiques de la vie de Manuel Benitez el Cordobes m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai lu Hemingway, Montherlant et d’autres encore. Ces lectures m’ont conforté dans le sentiment qu’il se passe quelque chose de particulier dans ce monde.

Peut-on parler de votre désir à percer un mystère ?

Oui. Qu’est-ce qui pousse les toreros à aller risquer leur vie devant des fauves, avec des préoccupations esthétiques dans ce flirt avec la mort ? Ils choisissent de se confronter à un assassin en puissance pour produire de la beauté.

Avez-vous trouvé un début de réponse ?

Non. Certainement que je n’éprouverai plus le même besoin de venir aux arènes quand ce sera le cas. Il y a dans la quête du torero quelque chose d’assez fascinant. Je garde le souvenir d’un reportage sur Jose Tomas, où il est filmé en train de s’exercer devant un miroir. Je vois sa recherche du geste parfait, geste inlassablement répété. Il n’y a pas de différence entre cela et nos danseurs, à l’Opéra. J’y trouve une incroyable proximité dans l’aspiration à la beauté, l’élégance, l’équilibre des corps. Une passe bien réussie est un moment de bonheur absolu. Plus j’aime la danse, plus j’aime la corrida.

Comment expliquez-vous le cousinage de toujours entre mondes culturel et tauromachique ?

La corrida est un art total. L’artiste qu’est le torero va jusqu’à mettre sa vie en danger pour exprimer son art, en tirer une esthétique, du beau. On entend souvent les artistes de scène parler de « se mettre en danger ». C’est le cas, émotionnellement. Mais avec la corrida, on parle de chair. Ce n’est pas symbolique ou virtuel. C’est une sorte de tragédie ultime, un paroxysme dans l’acte de création.

Quel style de toreros vous touche ?

Des hommes comme Jose Tomas, c’est une évidence. J’aime Enrique Ponce. Un matador comme Ivan Fandiño me plaît de plus en plus. Il a beaucoup fait évoluer sa tauromachie vers la recherche de l’esthétisme. Un Javier Conde, avec son style baroque, peut être fascinant. Mais je n’aime pas les catégories. Il y a certes des styles. Des toreros plus techniques, d’autres plus artistes… Un Alberto Aguilar mesure 30 centimètres de moins qu’un Perera mais les deux produisent du beau.

Et quel type de toros aimez-vous ?

Je ne suis pas fanatique des très gros toros, ultra-agressifs. Ces toros rudes. J’aime quand un toro permet au torero de s’exprimer artistiquement.

Vous êtes donc plus un aficionado « toreriste » (1)…

Je n’aime pas trop les chapelles du monde tauromachique. Je pense qu’il en souffre. Il a surtout besoin d’unité, à tout point de vue.

Vous faites allusion aux abolitionnistes de la corrida ?

Je pense que la loi est bien faite, qui se limite aux lieux de tradition longue et ininterrompue. Si la corrida doit vivre, il faut veiller à sa pureté, à son sens. Il faut que les toreros soient scrupuleux, les organisateurs et éleveurs exemplaires. Le premier travail pour défendre la corrida est interne au mundillo. Après, il faut faire respecter cette tradition. Que l’on ne se reconnaisse pas dans une culture, c’est légitime. Mais quand on parle de vouloir interdire une culture, dans une forme de censure en somme, ça me semble dangereux.

Vous avez dirigé le cabinet de Christine Albanel quand elle était ministre de la Culture. Elle aime comme vous les toros…

Un jour, lors d’une réunion au ministère, elle évoquait un animateur télé qui proposait d’offrir sa propre tête à la ministre. Elle s’est interrogée : « Qu’est-ce que je pourrais bien en faire ? » Je lui ai suggéré que l’exposer dans son bureau, comme celle d’Islera (2). Nous avons ri. Mais nous n’étions que deux à comprendre.

(1) Le terme « toreriste » désigne les aficionados qui donnent la primauté au torero, non au toro (toriste).
(2) Islera, vache mère du fameux toro Islero, qui tua le matador Manolete. La tête d’Islera est exposée dans les arènes de Séville.