Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines


-Comment est née cette série ?


Comme pour ma dernière exposition, cette série est née d’un évènement estival. J’aime cette lumière d’été. 

Elle ne laisse que peu de place aux contours, elle plaque tout sans faux fuyant, c’est peut-être ce qui m’attire... 

Cette série est donc est née en juillet 2021, précisément durant les trois après-midis des 23, 24 et 25 juillet.

J’ai eu la chance d’assister durant ces trois jours aux corridas au Plumaçon, les arènes de Mont de Marsan, au plus près de ces hommes qui combattent le toro. 

Comme je le dis dans l’avant-propos, de l’arène, du combat, nous ne verrons rien. 

En revanche, j’ai été fortement impressionné par les 5 dernières minutes avant leur entrée en scène. Une corrida est une scène, un spectacle.

Alors que, quelques minutes auparavant encore, la parole, parfois les rires, les échanges habitent ce que l’on appelle le patio de caballo, à 17H 55, cinq minutes avant 18h et le paseo (le défilé des toreros) , le silence s’installe. 

Les regards s’échappent, le silence des prières envahit l’air chaud. C’est ce que j’ai tenté de capturer.



-Vous avez choisi de saisir les 5 minutes avant l'entrée des toreros dans l'arène , 5 minutes cruciales remplies d'angoisse.

 Pour vous, ce sont les cinq premières minutes du reste de leur vie ou les cinq dernières? 



J'ai eu la chance durant les fêtes de la Madeleine à Mont de Marsan d'être dans le callejon du Plumaçon. et j'ai été profondément touché par le changement d'attitude des toreros quelques minutes avant le paseo. Dans la demi-heure qui précède, après leur arrivée, les toreros discutent, échangent et plaisantent même. Le mundillo s'agite autour d'eux. Photos, autographes ,abrazos, et peu à peu dans ce brouhaha qu'est le patio de caballo, le silence entre la vingtaine d'homme qui va pénétrer dans l'arène se fait .Ils sont alors imperméables au reste du monde. J'ai l'impression qu'ils se retirent en eux même et ce sont ces instants que j'ai cherché à capter, à voler .Je dirai que la troupe, si on comparait cela au théâtre, se replie. Bien sûr, il y a la peur,  la concentration mais aussi quelque chose de mystique, de spirituel qui rôde. A votre question ,je dirai que ce sont les cinq premières minutes de leur vie,  qui se répètent chaque soir. Pénétrer dans l'arène pour eux, semble le début de la vie. En photographie, j'ai tenté de voler ce moment crucial, ce moment décisif et fugace. 

En revanche, la lumière de fin d'après-midi amènerait plutôt vers un crépuscule. et nous savons que le basculement entre les 5 premières minutes et les cinq dernières minutes de leur vie est si fugace. 



- Comme Soulage, du noir de vos photos surgit une lumière presque aveuglante. 

Pensez-vous que la corrida et tout son décorum peut amener un certain éclairage à une société qui tend vers le gris...? 


Bien sûr... Le soleil éclaire ces fins d'après-midi pour rendre aveugle face à la Mort. Le noir renvoie la lumière encore plus fort. Soulages nous a donné cela .Et vous avez raison, l'une des raisons de défendre ardemment la tauromachie, est que cet art ne fait pas de concession avec le gris. Il règne dans les arènes l’or, le rouge, le noir. Je peux comprendre l'anachronisme de ce rendez-vous mais ces cinq dernières minutes avant de rentrer dans l'arène raconte que dans une vie en société, même en 2022, il faut des échappées, des trouées lumineuses vers la peur, vers l'inhumain, vers l'inconcevable. 

Comme le théâtre et ses tragédies, la musique et ses vacarmes, la tauromachie est dans le noir et le blanc. pas dans l'entre deux.



-Avez-vous remarqué des similitudes dans les faciès des toreros cinq minutes avant? 


Plus approche l'heure, plus leurs regards se perdent. La complicité ou l'agacement de voir le photographe dans leurs espaces disparaissent. Je dirai qu' un éloignement se produit. Et je suis surpris que quelques soient leur notoriété, leur expérience, leur âge, l'attitude et le visage de chaque torero, maestro ou peon prend un air tragique. On m'a dit: 'ils ont l'air si vieux à cet instant". C'est vrai que le visage se referme, le regard s'éloigne, les traits se figent ... l'expression disparaît... un masque se crée... nous pourrions faire l'analogie avec le masque des tragédiens.  



-Et vous en photographiant ces cinq minutes cruciales vous avez ressenti quelque chose de spécial? 


 Vous connaissez la citation de Leiris qui dit:  "introduire ne serait-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire », je n'aurais pas cette prétention, à l'abri des planches du callejon mais il y a de cela dans cette série.

Depuis que je me rends aux arènes, nous savons tous qu'un mystère nous attire dans ces lieux , j'ai ressenti encore plus ce mystère durant ces minutes, cette proximité. 

La photographie peut révéler des pans obscurs de ce qui nous attire dans cet Art. 

Côtoyer la peur, tenter de la capturer. C'est le cadeau que nous font les toreros et que j'espère je leur redonne dans cette série.