Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Le pampelunais, Antonio Purroy, professeur à l’Université publique de Navarre, écrivain et essayiste de renom, nous a déjà fait connaître, en février dernier, sa passion pour la tauromachie. Voici qu’il vient nous apprendre avec un optimisme serein et communicatif pourquoi il la faut défendre…

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Il existe de nombreuses raisons de défendre la tauromachie et plus elle est attaquée plus ceux qui l’aiment en découvrent  de nouvelles. Sa défense semble facile quand elle s’accompagne de quelques adjectifs qui décuplent son attrait. La fête des toros est grandeur parce que les toreros, héros d’une perpétuelle modernité, jouent la vie et la mort chaque après-midi. Qu’est-ce qui pousse un jeune torero – et même un moins jeune – à affronter un animal qui, à la moindre inattention, peut briser son corps et encorner son âme ? Un composé de risque, de défi, d’orgueil, de victoire. Et il est si généreux qu’il offre aux spectateurs de vibrer et s’émouvoir avec lui, au point que de la rencontre taureau-torero, jaillissent des étincelles d’émotion et d’art. Il pourrait s’en dire autant de l’autre tauromachie, la populaire où de jeunes garçons anonymes se jouent la vie en échange de quelques applaudissements et pas grand-chose de plus. Existe-t-il plus de grandeur dans la quotidienneté – modernité – actuelle ? ? “Le combat avec le taureau est grandeur”, disait Joaquín Vidal.

La Tauromachie est admirable, parce qu’admirable est la vie du taureau dans sa campagne, dans l’environnement naturel où il est élevé, spécialement la Dehesa, qui est un écosystème agro-silvo-pastoral merveilleux et unique, porteur d’une grande valeur écologique. Est admirable le comportement du taureau, fruit du système de sélection appliqué par les éleveurs depuis plus de trois siècles, où, pour choisir les étalons et les mères des taureaux à venir se conjuguent l’hérédité reçue de leurs parents, leur propre bravoure et la transmission de leurs caractères aux descendants. C’est une méthode de sélection parfaite, qui a été peut-être inventée par les éleveurs de braves sans qu’ils le sachent, et qui s’applique de nos jours dans beaucoup de races de bétail dans le monde.

Est admirable, la beauté qu’irradient beaucoup d‘épisodes du rituel : un paseíllo musical et lumineux dans des arènes pleines ; quelques véroniques douces et lentes canalisant un taureau impétueux et fier ; des piques bien données à un taureau brave, intègre et robuste, aussi nécessaires que belles ; quelques naturelles imposées main basse à un taureau noble et racé ; le don du volapié poussé avec cœur et conviction ; la résistance du taureau à la mort…

Admirables sont les valeurs que réunit la Tauromachie, les valeurs éthiques du respect pour les personnes et pour le taureau; les valeurs esthétiques d’un art qui parvient à vous donner la chair de poule ; les valeurs écologiques incalculables des milliers d’hectares de Dehesa occupés par le bétail “brave”; les valeurs culturelles…

Parce que la Tauromachie est culture, d’où l’opinion de Federico García  Lorca : “la tauromachie est la fête, sans doute, la plus culturelle du monde”. Tous les arts ont été fécondés par la Fête des taureaux, tant en Espagne comme ailleurs, maintenant et dans le passé. La peinture et la littérature ont été vraisemblablement les arts qui se sont les plus imprégnés de la magie de la Tauromachie. De très grands peintres comme Goya, Picasso, Manet, Zuloaga, Miró, Botero …, et des écrivains remarquables – Valle-Inclán, Bergamín, Hemingway, Lorca, Alberti, Cela, Vargas Llosa … –  se sont trouvés attirés par la force d’un monde qui ne laisse personne indifférent, ou pour ou contre.

Les aficionados sont plus ou moins cultivés, mais personne ne doute de leur sensibilité. Les toreros ne sont pas assassins (comment D. Santiago Martin “Viti” serait-il un assassin, par exemple ?). Les aficionados ne sont pas tortionnaires, ne s‘amusent pas de la possible douleur de l’animal. Il est injuste de douter de l’attitude de spectateurs, qui vont aux arènes librement et volontairement pour partager un spectacle unique et irremplaçable.

Il est sûr que la Tauromachie est légale. Tant est forte la pression prohibitionniste actuelle – très bien orchestrée et très bien financée, certes – qu’il se crée la sensation parmi les afcionados et spectateurs potentiels que la corrida est proche d’être prohibée et, ce qui est pire, en viennent à se sentir coupables d’être taurins.

Mais il ne faut pas s’alarmer à l’excès car la tentative prohibitionniste a historiquement accompagné la Tauromachie. De toutes ces tentatives deux ont été les plus notables. D’une part celle que le pape Píe V a promulguée, en 1567, pour tout le monde catholique avec la Bulle De salutis gregis dominici contre les spectacles avec taureaux “qui n’ont rien à voir avec la pitié et la charité chrétienne, par le danger qu’ils font courir à ceux qui se mettent devant”. Après une série de vicissitudes, ici hors de propos, le pape Clément VIII a abrogé la bulle de Píe V, 29 ans plus tard, par son Bref Suscepti numeris, en maintenant la prohibition pour les moines et les frères mendiants (les prêtres et les frères ont toujours montré un fort penchant pour les taureaux …).

La grande prohibition arriva avec Charles IV et sa Cédule Royale de 1805 par laquelle “s’interdisaient absolument dans le Royaume les Fêtes de Taureaux et Novillos de mort”. Cette prohibition conserva très longtemps sa valeur légale mais en  réalité, ne fut pas effective, les autorités n‘ayant pas su l’imposer à un peuple tellement attaché à une Fête si aimée et préférant éviter de provoquer de graves troubles à l’ordre public. Ce n’est qu’en 1991 que la prohibition fut officiellement abolie avec la promulgation de la Loi 10/1991 sur  les “Pouvoirs administratifs en matière des spectacles taurins et ses conséquences” c’est dire qu’il y a eu la bagatelle de presque 200 ans de prohibition inopérante de la Tauromachie en Espagne (en France un phénomène comparable s’est produit avec la loi Grammont de 1850 mais sans aucune conséquence effective). Cette loi fut adoptée quand Felipe González (PSOE) présidait le gouvernement.

Par la suite, la Loi 18/2013, définissant la Tauromachie comme un Bien d’Intérêt Culturel, et la Loi 10/2015, la déclarant comme Patrimoine culturel Immatériel, renforcent la légalité de la  Fête dans toute l’Espagne, Catalogne comprise, après récente décision du Tribunal Constitutionnel (Il était grand temps !) confirmant la légalité des courses de taureaux dans cette région.

Certains se refusent à accepter que la Tauromachie soit “génétique” parce que la passion pour la fête des taureaux – dans son ample acception – est gravée à feu dans l’ADN du peuple espagnol depuis des temps immémoriaux. Ces raisons sont, entre autres celles qui nous confortent à défendre la Tauromachie sans complexe, sans peurs, parce que, comparables au taureau de combat, nous devons nous grandir en ce moment transcendant pour l’histoire de notre fête.

 

                                                             Antonio Purroy Unanua