Peut-on évoquer la tauromachie au collège et au lycée ?
Nous avons eu l’occasion de répondre, ici-même, à cette question. Nous sommes heureux d’y revenir en reproduisant le frais témoignage d’une jeune enseignante.
Maya Jimenez est professeur d’espagnol dans un collège, quelque part en France, dans un endroit écarté des lieux où se pratiquent des corridas. Dans le cadre de son enseignement, elle organise des voyages scolaires. En mai dernier, elle a conduit ses élèves dans la région de Séville. Ils y ont découvert maints aspects de l’Andalousie, des beautés architecturales, des œuvres d’art, différentes cultures locales comme les processions du Rocío ou la tauromachie…
Avec beaucoup de gentillesse et de spontanéité, Maya a bien voulu nous rapporter comment s’est déroulée la partie taurine du voyage incluant la visite d’un élevage et comment ses jeunes élèves ont vécu cette immersion dans l’inconnu.
Nous l’en remercions chaleureusement.
La tauromachie,
par Maya Jimenez
Les différents programmes de langues vivantes étrangères insistent sur la notion culturelle. Dans le préambule commun du bulletin officiel n°6 du 25 août 2005 qui concerne les programmes de langues vivantes pour le palier 1 du collège, il est dit qu’« apprendre une langue vivante étrangère, c’est aller à la rencontre de modes d’appréhension du monde et des autres », la composante culturelle doit donc être intégrée dans notre approche pédagogique. Nous commençons par sensibiliser les élèves à la culture de la langue cible pour ensuite approfondir et élargir les champs traités. Il faut parvenir, selon les programmes, à « connaître » et « comprendre » l’autre. Cette idée nous la retrouvons également dans le Cadre Commun de Référence pour les Langues (conçu par le Conseil de l’Europe, en 2001), qui indique que la connaissance des valeurs culturelles permet de « mieux comprendre le mode de vie et la mentalité d’autres peuples et leur patrimoine culturel » (p.11). Depuis 2013, la corrida, deux ans après la France, est inscrite au patrimoine culturel espagnol. La loi 18/2013 du 12 novembre précise que « La Tauromaquia forma parte del patrimonio histórico y cultural común de todos los españoles[1] . Dans ce texte, article 5.1, il est dit que l’Etat doit « garantizar la conservación y promoción de la Tauromaquia como patrimonio cultural de todos los españoles, así como tutelar el derecho de todos a su conocimiento, acceso y libre ejercicio en sus diferentes manifestaciones ».[2] Travailler sur le thème taurin en classe d’espagnol nous semble tout à la fois un droit et un devoir. N’en rien dire ou l’aborder sous le prisme de l’abolition comme cela est trop souvent le cas, ce serait faire le jeu de ceux qui parlent sans savoir et qui se prennent pour des êtres civilisés alors qu’ils ne sont que des barbares qui ont pour seule intention, depuis leur ignorance, l’extermination du taureau brave et de son capital génétique. Le but de notre approche n’est cependant pas de convaincre ni de promouvoir la Corrida mais de faire découvrir la réalité et la richesse de la culture taurine. Cela peut paraître utopique mais comment les adolescents peuvent-ils avoir un regard critique face aux stéréotypes, face à l’unique son de cloche qu’il leur est donné d’entendre? Sinon, comment expliquer qu’ils ne connaissent même pas le nom du célèbre torero Sébastien Castella, pourtant français? Depuis un certain nombre d’années, en cycle terminal au lycée, dans un premier temps, puis au collège, je travaille avec mes élèves sur ce sujet. La difficulté est de dépasser la polémique qui l’entoure et qui a été aussi quelque part ma démarche initialement, par inertie, au travers du sempiternel débat. Mais une étape avait été sautée car comment faire un débat avec des connaissances au plus superficielles? Depuis quatre ans, c’est la deuxième fois que j’amène mes élèves visiter un élevage de taureaux braves, où la focalisation se modifie pour essayer d’appréhender la vie du toro plus que sa mort. Et comme dit le dicton « pour croire avec certitude, il faut commencer par douter ». Pour envisager la compréhension des courses de taureaux, il faut en effet connaître cet animal qui est la base de la Fiesta Nacional et s’apercevoir de ses spécificités dans le règne animal ainsi que de sa dimension mythique. Pour cela, quoi de mieux qu’une immersion dans son habitat? Le 23 mai, nous avons été reçus par Fabrice Torrito, régisseur de l’élevage de taureaux de combat du Marquis d’Albaserrada à Gerena (Séville). Fabrice Torrito a partagé sa passion pour le descendant de l’aurochs avec nous pendant trois heures et, en bon pédagogue, il a expliqué aux élèves et aux adultes accompagnateurs le processus d’élevage du taureau qui dure cinq années : la ferrade, les critères qualitatifs lors du choix des vaches et des taureaux reproducteurs, le vêlage, la vie des animaux dans les prairies, les rapports hiérarchiques dans la manade. Il nous a parlé de ce que nous allions voir, des différents enclos avec les mères, des groupes de mâles par âges et de la constitution des lots (principe d’homogénéité physique) puis de l’embarquement. Il a également défini la notion de bravoure et a évoqué avec nous la grâce de Laborioso, obtenue à Séville en 1965.
Les élèves ont porté à ses paroles un grand intérêt, dans un silence presque religieux qui rappelle le silence d’expectative précédant l’apparition des essences de romarin à la Maestranza. Fabrice a su non seulement captiver l’attention mais susciter ensuite une curiosité accrue comme le prouve le grand nombre des questions posées. Nous avons ensuite visité les parcs à vaches et les enclos des taureaux en tracteur-remorque. Imaginez l’émotion de voir un taureau de combat à portée de main ! Nous avons poursuivi par un atelier de « toreo de salon » afin de se familiariser avec les trastos[3], les différentes phases d’une corrida, les réactions du taureau et la posture du torero. Même si nous n’avons pas repéré de futur torero, les élèves ont compris l’utilité de chaque instrument et certains ont essayé avec enthousiasme. Une fois de plus, ils ont été conquis par les explications de Don Fabricio. Avant le départ, nous avons fini la visite par les écuries, le musée et la maison des propriétaires. Ce fut une excellente après-midi qui restera dans leur mémoire. De retour à la réalité du collège, ils m’ont demandé de leur montrer une corrida et comme enseignante pleine de ressources, j’ai visionné avec eux quelques images sur YouTube. Ils ont transmis leur curiosité pour la tauromachie à leurs camarades de classe qui n’avaient pas fait partie du voyage. Pendant la durée d’une séance, ils se sont laissé aller à des explications, signe fort de leur intérêt et des connaissances apportées par Fabrice. Nous avons ensuite tout naturellement travaillé en cours sur la tauromachie. L’intérêt était de susciter une ouverture d’esprit, un regard critique, ainsi qu’une approche du beau. Cette immersion dans la culture espagnole donne à imaginer les richesses des cultures du monde et les différents point de vues qu’elles supposent car l’étude d’une langue et de sa culture permet de travailler sur l’altérité et la relation à la différence en promouvant des valeurs telles que la tolérance. Comme dit Fabrice Torrito dans son blog, Les carnets du mayoral, « EDUCATION et TRANSMISSION sont plus que jamais les mots maîtres… » Mais le but de l’école est non seulement d’élever les jeunes gens au travers de connaissances et de compétences, mais aussi et surtout, par son rôle éducatif, de leur permettre de devenir des personnes tout à la fois autonomes et capables de vivre avec les autres, soit développer leur sensibilité aux différences et à la diversité culturelle.
Au centre, les enseignantes accompagnatrices avec Fabrice Torrito
Le groupe des jeunes élèves [1] La Tauromachie fait partie du patrimoine historique et culturel commun à tous les espagnols. [2] garantir la conservation et la diffusion de la tauromachie comme patrimoine culturel de tous les Espagnols ainsi que protéger le droit de chacun à sa connaissance, à son libre accès et à son libre exercice sous ses différents aspects. [3] Trastos : instruments utilisés par le torero : la cape, la muleta et l’épée. |