Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

1 – Petit historique

Le livre, au sens où il devient un objet de consommation courante, a une histoire relativement récente. Quelques livres illustrés pour enfants sont apparus avec le siècle précédent mais, ce n’est qu’à partir du milieu de celui-ci, que l’on a édité des livres destinés aux jeunes publics.

Dès 1944, Général Publicité (G.P. Éditions) va proposer la célèbre collection « Rouge et or ». De son côté Hachette mettra sur le marché la collection « Verte » suivie quelques années plus tard par la collection « Rose » pour les plus jeunes. Déjà en 1941, Rageot se spécialise en créant la Bibliothèque de l’amitié. Ces précurseurs seront rapidement suivis. Il y aura des collections de poche, puis plein de nouvelles propositions aux différents formats et cela même pour les tout-petits. S’installera alors un genre, avec des auteurs et des illustrateurs spécialisés.

De la même manière la bande dessinée évoluera tout au long du XX° siècle. La particularité va être le passage assez systématique par les périodiques. Comme pour les romans populaires à la fin de XIX°, seront ainsi créées les histoires « à suivre ». L’album deviendra l’objet en soi, bien plus tard. L’apparition d’auteurs, d’illustrateurs et de héros spécifiques prendra alors une ampleur médiatique considérable.

2 – Des taureaux qui parlent

La création littéraire taurine va être fondamentalement différente selon que le support est la bande dessinée ou la littérature enfantine.

Dans la bande dessinée, nous assistons à la parution dans les années cinquante-soixante, de séries dans des journaux petit format, de type western, des histoires souvent mexicaines où la tauromachie apparaît. Généralement en noir et blanc, la corrida est présentée brutale et violente dans un contexte d’armes à feu et de règlements de comptes. Toutes ces BD, que l’on ne retrouve généralement qu’en série, sont difficiles à reconstituer.

La revue Tintin publiera l’histoire de Manolete ou celle d’El Cordobes [1], mais cela reste anecdotique. Par contre, la bande dessinée va plutôt proposer des rencontres quelques fois tragiques et le plus souvent sur le mode comique. On peut être, pour le coup, surpris par le nombre de héros qui ont toréé ou même qui ont inventé la tauromachie. A l’instar d’Astérix, notre héros national en Hispanie, se sont Lucky Luke, les Daltons, Sylvain et Sylvette, Tarzan , les Pieds Nickelés etc… qui ont un jour toréé. Mais la démarche, même si elle est sur le plan du vécu taurin intéressante, continue à être marginale. La tauromachie reste dans une position folklorique, hispanique ou mexicaine, et les ressorts sont souvent des gags utilisant, entre autres, le soi-disant attrait du taureau pour la couleur rouge.

Dans les années soixante-dix, la BD va exploser et sortir de son public d’enfants pour s’ouvrir aux adolescents et aux adultes. C’est dans ce mouvement là que quelques rares objets sont entièrement dédiés à notre art. On pense essentiellement à la série Matador[2] sortie entre 92 et 94… Le fait de ne citer qu’une référence, montre la rareté de la chose.

Côté livre, deux racontant des histoires taurines, vont avoir une destinée particulière, tous les deux issus du monde américain. Le premier, Ferdinand [3], histoire d’un taureau qui n’aimait que les fleurs et refusait le combat, va connaître la notoriété grâce à Walt Disney. Le second, Le taureau fidèle [4], sorte d’anti-thèse de Ferdinand, ira au combat, et sera surtout connu du fait de son auteur, Ernest Hemingway.

Dans les années 60-80, le livre pour enfants va proposer des histoires entièrement taurines. Ce qui intéressera les auteurs, c’est la symbolique de la rencontre d’un enfant et d’un taureau. Ce dernier assimilé à la force, à la nature, à la franchise dans le combat, va être utilisé comme ressort pédagogique et initiatique. Le monde taurin va être une sorte d’environnement fort de ces valeurs pour l’enfant. Dans ces histoires un nombre incalculable de taureaux parlent ou ont des sentiments humains, et des enfants, pour des raisons invraisemblables rencontrent ces animaux plein d’une sage philosophie. Bref, tant que le toro de combat est un petit veau et le futur torero un enfant, tout va bien. La difficulté pour l’auteur, restera toujours le final, car l’enfant grandit et devient le torero ou le spectateur et le toro devient adulte et se retrouve dans l’arène. La littérature pour enfant a mis à la mode l’indulto, bien avant la tendance actuelle.

Petit à petit, en s’approchant des années 2000, les histoires pour enfants utilisant l’objet taurin s’en éloignent. Elles vont plutôt proposer un environnement tauromachique à une aventure enfantine exotique. Les vocations taurines vont complètement disparaître chez l’enfant. Celui-ci ira éventuellement sur les gradins mais la corrida sera moins centrale.

3 – Le sentiment d’interdit actuel

Puis, tout va disparaître. Plus de rêve taurin pour l’enfant, plus d’enfants dans l’arène, plus d’enfants sur les gradins, plus de « toros » dans l’univers des enfants ou dans la bande dessinée. Comme si un diktat était tombé du ciel. Visiblement les éditeurs ne s’y risquent plus. Par contre, il y a eu ces dix dernières années des livres démontrant aux enfants la violence de la tauromachie, des livres avec des discours scandaleux et souvent grotesques. Je ne citerai qu’un exemple. En 2009 est sorti SOS SPA,  Tauromachie, l’envers du décor, BD pour enfants qui se veut une histoire pour la défense des animaux. Rossy de Palma, Renaud, Raphaël Mezrahi et Jean-Pierre Foucault sont mis en scène pour raconter une histoire mensongère sur les pratiques taurines, où un taureau et une petite fille sont amis, et où le petit taureau sauvé sera présenté en public, à Paris, avec son amie. Mentir aux enfants est honteux. Le discours est toujours falsifié, on voudrait faire croire aux enfants que tous les animaux sont gentils. Dans un autre livre de la même époque (Dicotoro), le taureau peut être triste, car menacé par l’épée d’un torero ou heureux, car il porte des enfants sur le dos. On peut toujours tenter l’expérience.

Oui c’est (presque) le désert dans les rayons pour enfants. L’éditeur ne prend plus aucun risque avec ce sujet. La pression médiatique aurait gagné, on a fini par faire passer dans la tête des gens, anti ou sans avis sur la question, que la tauromachie cela peut être dangereux pour les gamins.

4 – Quelques idées de cadeaux

Bon, on va se détendre un peu, et sortir de cette triste ambiance. C’est bientôt Noël, et il y a encore quelques livres sympathiques. Si vous voulez une bonne petite encyclopédie pour enfants sur la tauromachie Raconte moi la corrida [5],  de Miguel Darrieumerlou & Jacques Bacarisse, éditée chez Cairn est malheureusement un peu ancien, (2002), mais je n’ai pas trouvé mieux depuis.

Par contre, beaucoup plus récent est le livre d’Antonio Arevalo, Le destin de Daniel [6], véritable petit roman pour public adolescent, mettant en scène un apprenti torero du début de XXI° siècle. Une histoire actuelle.

Et aussi quelques bandes dessinées qui font bien plaisir : Dolores de Villafranca [7], de Marijac et Gloesner, réédité et colorisé en 2012, ou mieux, car c’est une création de cette année, Matador [8], de Manolo López Poy et Miguel Fernández, raconte l’histoire d’un torero qui a existé, Lorenzo Pascual “Belmonteno”. Bien qu’un peu éloigné de la tauromachie, une nouvelle aventure de Papyrus, en torero antique et superbement efficace dans Le taureau de Montou [9] de De Gieter, ou enfin La main qui nourrit, douzième album de la série Le tueur [10] de Jacamon  et Matz.

 

Serge Milhé



 [1]  Tintin :
Voir la revueTintin, n° 305 du 26/08/54, n° 552 du 21/05/59 et n° 869 du 17/06/65

[2] Matador :
JAKUPI Gani & LABIANO Hugues, Matador, en 3 tomes à suivre, T.1 – Lune Gitane, Grenoble, éd. Glénat, coll. “Grafica”, 1992, 48 p. texte de G. Jakupi, ill. de dessins coul. de H. Labiano, 32 x 24 cm. T.2 – La part du feu, idem. 1993, T.3 – L’orgueilleux, idem. 1994.

[3] Ferdinand :
D
‘après LEAF Munro & LAWSON Robert Ferdi­nand, Paris, Hachette, 1939, 48 p. ill. n. et b. et coul. de Walt DISNEY, 23 x 18 cm. De nombreuses autres éditions ont suivi.

[4] Le taureau fidèle :
HEMINGWAY Ernest
Le taureau fidèle, Paris, Gallimard, coll. “Enfantimages”, 1980, 36 p. ill. coul. de Michael Foreman, 19,5 x 14 cm.

[5] Raconte-moi la corrida :
DARRIEUMERLOU Miguel & BACARISSE Jacques
Raconte-moi la corrida, Pau, éd. Cairn, 2002, 31 p. ill. de dessins coul. de J. Bacarisse, 21,5 x 21,5 cm.

 [6] Le destin de Daniel :
AREVALO Antonio
Le destin de Daniel, Bordeaux, Culture Suds, 2013, 109 p. ill. coul. de María ángeles Pérez Fincias, 22,5 x 22,5 cm.

[7] Dolorès de Villafranca :
MARIJAC &  GLOESNER  Noël
Dolorès de Villafranca, Perpignan, éd. Artège, 2012, 52 p. ill. coul. 29 x 22 cm.

[8] Matador :
LOPEZ POY Manolo & FERNáNDEZ Miguel
Torero, trad. de l’espagnol par Marisa Muñoz, Diábolo éditions, 2014, 80 p. ill. coul. de M. Fernández, 30 x 22 cm

[9] Le taureau de Montou :
DE GIETER Lucien
Le taureau de Montou – Papyrus n° 32, Dupuis, 2012, 46 p. ill. coul. 30 x 21,5 cm.

[10] Le tueur :
JACAMON Luc & MATZ
La main qui nourrit – Le tueur, tome 12, Casterman, 2013, 56 p. ill. coul. de L. Jacamon, 30 x 22 cm. (p. 3 – 6).