Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Nécessité des Histoires de la Tauromachie

Avant le caparaçon
Photo : Manuel Vaquero – Archivo Ragel

  Le 6 juin 2011, au cours de son émission «La Marche de l’Histoire,Jean Lebrun a fait une allusion précise à l’introduction du caparaçon (ou peto) destiné à protéger le cheval lors du premier tiers. Or, les auteurs de La Tauromachie. Histoire et Dictionnaire(sous la direction de Robert Berard) dans la longue «entrée» qu’ils ont consacrée au caparaçon, devenu obligatoire en Espagne par décret du gouvernement espagnol du 7 février 1928 et aussitôt utilisé dans les plazas de toros des autres pays, n’hésitent pas à écrire  «L’adoption du caparaçon eut pour effet de modifier de fond en comble l’allure de la corrida.» Et la suite de l’article justifie cette affirmation. Notons au passage que deux Français, Heyral et Sudre, eurent un rôle décisif dans l’invention du système. 

Aujourd’huiavec le caparaçon
Photo : www.camposyruedos

Ce seul exemple est d’une éloquence irrésistible. Le spectacle auquel nous assistons, disons en 2011, n’est pas celui des années 1920, ni celui des années 1960. La tauromachie n’a cessé d’évoluer et l’âge d’or, celui de la competencia  Joselito-Belmonte antérieure à la guerre 1914-18 dont nous parlent avec émotion les spécialistes, et nombre de spécialistes d’aujourd’hui qui ne l’ont pas connu, qui ne peuvent pas l’avoir connu, fut celui d’une autre tauromachie.

Joselito et Bemonte

On parle à juste titre d’une révolution belmontinequi se caractérise avant tout par la substitution du toreo de brasau toreo de jambes, substitution due notamment aux limitations physiques de Belmonte. Mais nous venons de voir que cette révolution, acquise vers 1920, est suivie d’une autre dix ans plus tard due à l’adoption du caparaçon. Car, le premier tiers, dont la durée jusqu’en 1928 était considérable, ne serait-ce que parce qu’il fallait évacuer et remplacer les chevaux tués dans l’arène, s’est trouvé dès lors très écourté tandis qu’en compensation, le troisième bénéficiait d’un intérêt accru et devenait beaucoup plus long. Je ne veux en aucune façon diminuer le mérite ou même le génie de Belmonte mais, comme Robert Berard l’a observé, «il faudra attendre l’arrivée du caparaçon pour que la lidia soit totalement transformée, que le «toreo» devienne la priorité.» Désormais, la technique, la gestuelle, la recherche esthétique deviennent de plus en plus importantes tandis que la corrida devient moins sanglante. Même si les taureaux continuent à porter le danger, souvent les blessures, parfois la mort. Et d’autant plus d’ailleurs que la perfection technique à laquelle sont parvenus certains maîtres les pousse à pratiquer un toreotellement serré qu’il suscite l’effroi des publics. 

  Mais l’Histoire de la corrida ne concerne pas que les hommes. Car toutes les mutations que je viens de rappeler ont eu évidemment des effets, des conséquences sur l’élevage des taureaux braves. Mais celui-ci n’a pas commencé avec Joselito et Belmonte ! Beaucoup d’aficionados ignorent tout à fait que l’élevage des taureaux braves a d’abord été le fait des religieux de quelques couvents andalous qui recevaient au titre de la dîme des veaux ou des novillos dont l’agressivité leur inspira de profondes réflexions. Nous voici presque à la préhistoire de la tauromachie que nous connaissons !

  Pas tout à fait !  A vrai dire l’histoire de la tauromachie s’édifie lentement, et comme toute l’Histoire au gré de recherches et de découvertes successives. Ainsi on a longtemps cru, et écrit, que le toreo à pied, celui qui est devenu le plus important, s’était imposé à partir du moment où le toreo équestre, pratiqué par les nobles, le toreo chevaleresque si l’on veut, était tombé en désuétude parce que, à partir de 1700, les nouveaux monarques, les Bourbons, avaient perdu le goût de cet exercice. Or, en fait, il n’en est rien. D’ailleurs, tous les

Ferdinand VII par Goya

Bourbons n’étaient pas indifférents au jeu du taureau, en particulier Ferdinand VII le pire roi qu’ait eu l’Espagne, et de loin, mais qui était aficionado (En somme, nul n’est tout à fait mauvais !) et qui s’est  beaucoup intéressé …au toreo à pied. Or celui-ci était pratiqué de longue date, comme l’ont montré les recherches dans les archives locales (municipales, provinciales) d’historiens de profession qui sont aussi aficionados tels que notre ami Antonio Garcia-Baquero Gonzalez, malheureusement disparu il y a trois ans, dans le cas de Séville, et une jeune historienne basque, dont seul le prénom résiste au naufrage de ma mémoire, Lourdes…, qui a récemment fait l’histoire de la tauromachie à Bilbao.   Mais, pendant longtemps, comme ces  professionnels du ruedoétaient des humbles, ils n’ont pas retenu l’attention des chroniqueurs. tout a changé aujourd’hui et la longue histoire du toreo à pied sort lentement de l’ombre. Et d’autres chercheurs, tel Jean-Baptiste Maudet, dans un livre admirable (et tout récent), Terres de Taureaux, ont montré l’extrême variété des jeux taurins.

  C’est à dessein que, dans ce bref article, j’ai cassé la chronologie, en mêlant dans le désordre vingtième siècle, dix-huitième, voire des époques plus anciennes. Parce que, depuis quatre ou cinq siècles, toutes sortes d’événements ont renouvelé, pour le meilleur et pour le pire, le visage et les expressions de la tauromachie.

Bartolomé Bennassar

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Note : Les images ont été ajoutées par la rédaction