Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Rencontres internationales de droit taurin
Séville 23-25 septembre 2011

par

François Zumbiehl         Emmanuel Durand
Docteur en Anthopologie culturelle    Avocat du Barreau de Nîmes

 

Le paradoxe prohibitionniste ; les droits et libertés au sein du monde taurin

Les mouvements anti-taurins et la prohibition catalane étaient à l’évidence au centre des préoccupations et des débats de ce colloque organisé par le Collège des avocats de Séville et qui constituait le Troisième « Tercio » de ces rencontres, les deux premières ayant eu lieu les années précédentes à Nîmes et à Madrid.

La plupart des intervenants espagnols estiment que le recours présenté devant le Tribunal Constitutionnel contre la prohibition votée par le Parlement catalan est fondé et a des chances sérieuses d’aboutir, si tant il est vrai que la Constitution espagnole stipule qu’il appartient à l’Etat de « protéger les peuples d’Espagne et de sauvegarder leurs droits à l’exercice de leurs cultures et de leurs traditions ». La question est le délai nécessaire à la formulation d’un arrêt (deux ans minimum) et la difficulté de retrouver un public et une afición en Catalogne. Parallèlement doivent se poursuivre les démarches politiques pour déclarer la corrida Bien d’Intérêt Culturel (BIC) à l’échelon des villes, des Communautés autonomes et de la Nation, et pour obtenir, par une concertation internationale, la reconnaissance de la tauromachie comme Patrimoine culturel immatériel (PCI) par l’Unesco. A noter que l’Association Taurine Parlementaire a chargé Pío García-Escudero (PP) et Carmen Calvo (PSOE) de pousser ce dossier en liaison avec la Coordination Internationale.

A cet égard le représentant de la Junta de Andalucía a rappelé que la Dehesa (prairie) andalouse, propice à l’élevage des toros, avait été récemment déclarée patrimoine de l’humanité par l’Unesco, et que sur ces terres, la chasse étant interdite, les animaux sauvages prolifèrent.

A noter aussi que Pedro Plasencia, participant à cette rencontre, est chargé de suivre le dossier de la corrida au ministère de la culture. Son intervention s’est centrée sur ce message : si la démarche auprès de l’Unesco est légitime, l’Etat espagnol ne saurait renoncer à ses propres responsabilités en matière de protection et promotion de la corrida. Il devrait reprendre la main, surtout en ce qui concerne l’homogénéité du règlement taurin quelque peu mise à mal par les initiatives des Communautés.

Deux interventions, celle de l’Italien Palumbo et de François Zumbiehl, ont rappelé les dispositions des conventions de l’Unesco de 2003 et 2005 pour la protection du patrimoine culturel immatériel et le respect de la diversité des expressions culturelles. Quelles que soient les passions déchaînées par le conflit entre les partisans et les adversaires de la corrida, les dispositions adoptées par l’Unesco, et inspirées par la vision éminemment anthropologique de Lévi-Strauss, sont claires : on se doit de respecter une pratique culturelle dont on ne partage pas les valeurs, dès lors qu’elle est portée par une communauté, même minoritaire, la seule contrainte étant la conformité aux principes de la déclaration universelle des droits de l’homme. Il y a culture dès lors qu’un groupe humain investit dans une pratique considérée des émotions, des représentations, des interprétations, un langage et un discours…C’est un domaine où la relativité des jugements moraux devrait s’imposer à tous.

Dans le cas de l’Espagne et de la France, par-delà les cadres régionaux, nationaux, et les conventions de l’Unesco (dont le poids juridique est sujet à débat), il existe le cadre européen, dont les réglementations, elles, s’imposent sans discussion. Gilbert Azibert, premier avocat-général à la Cour de Cassation a insisté à cet égard sur l’importance du protocole annexé au Traité d’Amsterdam de 1997. Ce protocole, du 22/02/2010, appelle à veiller au bien-être animal « Dans le respect des dispositions législatives et des coutumes des Etats relatives aux rites religieux, aux traditions culturelles, au patrimoine régional ». Il paraît en effet très important de rappeler ce texte européen à nos élus et décideurs.

Le bâtonnier Michel Dufranc a insisté sur l’inversion des valeurs du monde moderne en démontrant que la corrida est au cœur du paradoxe culturel.

Sans doute pour introduire une note de sérénité Pedro Romero de Solís, professeur de sociologie à l’Université de Séville et éminent spécialiste de l’histoire de la corrida, a produit la longue liste des prohibitions politiques et religieuses qui ont affecté la tauromachie ; elles sont aussi anciennes que la corrida elle-même, laquelle, jusqu’à présent, y a toujours survécu !

La liberté et les droits des professionnels taurins

Jaime Castiñeira Fernandez et Luis Hurtado Gonzales ont présenté et comparé le régime légal et conventionnel espagnol de droit du travail et de sécurité sociale avec le régime coutumier de droit français présenté par Nathalie Niglio et Emmanuel Durand.

La confrontation des deux régimes a mis en évidence la même problématique dans chaque pays portant sur la qualification du contrat (salarié/entrepreneur individuel) avec le recours en France à la présomption de salariat du code du travail, et en Espagne le risque toujours présent de requalification par l’administration fiscale.

Si la convention franco espagnole de sécurité sociale facilite les échanges franco espagnol des professionnels taurins elle fait peser sur les organisateurs de spectacle un risque fort de discrimination tant au regard des cotisations que des prestations de sécurité sociale.

Le régime français du guichet unique taurin est fonctionnel et efficace mais dépourvu de légitimité réglementaire le rendant particulièrement fragile.

Le coup de corne fait courir à l’organisateur le risque de sa responsabilité sur le terrain de la faute inexcusable.

Jaime Castiñeira Fernandez a présenté les modalités d’accès du droit taurin à l’université de Séville par la création de modules propres d’enseignement.

En mano a mano les docteurs Ramon Vila et Jean Yves Bauchu ont partagé leur expérience et leur difficulté à conserver à la porte de l’infirmerie le secret médical dû au torero mais dont la violation est parfois réclamée par le bénéficiaire lui-même, son entourage, le public.

Les professeurs Borja Mapelli Caffarena et Manuel Grosso Galvan ont décliné la liberté face au torero mineur en mettant en avant les aspects contradictoires de la législation qui voulant protéger la santé et l’intégrité physique des plus jeunes leur interdit l’accès des professions à risque avant un âge défini, ignorant ainsi la nécessité en matière d’activité physique de très haut niveau de pouvoir pratiquer dès le plus jeune âge pour acquérir le niveau technique leur permettant de garantir leur intégrité physique mieux que toute réglementation.

Les travaux se sont clôturés par le lancement de l’Institut International de Droit Taurin dont l’objectif est de compiler et analyser les systèmes législatifs, réglementaires et jurisprudentiels des huit nations taurines dans le but d’aller vers un droit taurin unifié garant des droits et libertés des acteurs taurins mais également garant du droit et de la liberté d’exprimer, défendre et diffuser la tradition taurine.

Les quatrièmes rencontres de droit taurin auront lieu à Dax en septembre 2012, au moment de Toros y Salsa.